Barthélémy DOMECQ (1728-1797), négociant et révolutionnaire
par R. Péterlongo
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Le nombre de documents mentionnant le nom de Barthélémy Domecq (1728-1797) n’est pas très important. Pourtant la nature de ces documents et l’époque traversée rendent possible de nombreux commentaires développés dans les pages qui suivent.
Barthélémy Domecq est originaire de Barzun, où il est né et a été baptisé le 8 septembre 1728. Actuellement dans les Pyrénées-Atlantiques, Barzun est à cette époque dans le Béarn, à proximité de la Bigorre. Le village est à mi-chemin entre Pau et Tarbes. Barthélémy travaille d’abord à Toulouse, où il est commis des frères Duclos, négociants à la fin des années 1750. Puis il y fonde son propre comptoir. C’est le début de sa carrière de négociant. Il s’installe ensuite à Bordeaux à partir de 1772 ou 1773, où il assure surtout un commerce de produits issus de l’intérieur des terres. Il prend part à la Révolution, semble être fervent patriote et devient même officier municipal en 1794.
Les sources permettent aussi d’émettre quelques hypothèses à propos de ses croyances religieuses ou de son appartenance à la franc-maçonnerie. Ces sources éparses peuvent être mises en relation avec différents travaux de synthèses d’historiens qui permettent de placer Barthélémy Domecq dans le contexte économique social et politique dans lequel il a vécu ; ce milieu est particulièrement intéressant, il s’agit du monde du négoce et celui des révolutionnaires bordelais. On peut ainsi aller et venir du particulier au général.
Bordeaux à la fin du XVIIIe siècle est de loin le premier port français. Les textes de l’époque décrivent une relative prospérité et une grande activité. La ville gagne des habitants, qui viennent s’y installer comme le fait Barthélémy Domecq. Elle est animée par la liaison directe avec Saint Domingue, mais aussi par l’exportation des produits du bassin aquitain et le commerce international avec une partie de l’Europe.
Bordeaux est réputée pour avoir été le foyer du parti girondin. Elle présente certainement dans la Révolution quelques spécificités sans toutefois se distinguer énormément du contexte national. Comme dans d’autres villes, il y eut à Bordeaux une municipalité révolutionnaire prenant le pouvoir en 1789, des clubs et des sociétés populaires, puis des représentants en mission. Girondin, Barthélémy Domecq ne l’était pas ; malgré la méfiance de la Convention envers les négociants, Barthélémy fut nommé officier municipal avant la chute des robespierristes, et le demeura quelques mois ensuite.
Le commis à Toulouse et l’affaire Calas
C’est pendant la période où Barthélémy Domecq travaille à Toulouse qu’il est témoin de l’affaire judiciaire la plus célèbre du XVIIIe siècle: l’affaire Calas. Rappelons quelques éléments de cette affaire. Jean Calas était un marchand d’étoffes de Toulouse, de religion calviniste. Sa maison se trouvait rue des Filatiers, non loin de la rue de la Bourse où vivait la famille de Barthélémy Domecq. Un des fils Calas nommé Louis s’était converti au catholicisme. Jean Calas vivait avec deux autres fils: Pierre et Marc Antoine. Le soir du 13 octobre 1761, Gaubert Lavaysse, ami de la famille, est invité à souper à leur domicile. Après le repas, il découvre avec Pierre Calas le cadavre de Marc-Antoine. Le soir même autour de la maison, une foule se rassemble, persuadée que la famille Calas, Lavaysse et la servante de la famille ont étranglé Marc-Antoine parce que celui-ci voulait se convertir au catholicisme.
Dans leurs premières déclarations, les suspects déclarent qu’ils ont trouvé Marc-Antoine étranglé sur le sol. Cela suppose qu’un criminel ait pu commettre le meurtre et s’enfuir sans bruit. Puis dans un second temps, les suspects déclarent avoir trouvé Marc-Antoine pendu et avoir menti pour lui éviter le sort des suicidés (le meurtrier de soi-même est puni d’une peine infamante: être traîné dans la ville face contre terre et jeté à la décharge). Cette seconde version pose également problème: les enquêteurs ont du mal à comprendre comment Marc Antoine aurait pu se pendre, vu qu’il n’y avait pas de tabouret dans la pièce et que ses pieds auraient touché le sol. La Tournelle (chambre criminelle du Parlement de Toulouse) ne croira pas en cette version des faits. Le 9 mars 1762, elle condamne Jean Calas au supplice de la roue. Le lendemain, il a les membres brisés et est exposé attaché sur une roue. Il meurt étranglé par le bourreau après deux heures d’exposition, sans avoir avoué de crime. Assez ennuyée par cette absence d’aveu, la chambre du Parlement de Toulouse condamne Pierre au bannissement et les autres co-accusés sont mis « hors court » (acquittés).
Voltaire s’empare ensuite de cette affaire dont le verdict paraît incohérent (soit tous les accusés étaient coupables, soit ils étaient tous innocents…), et en fait un symbole de son combat contre l’intolérance, contre « l’infâme ». Voltaire n’est pas un spécialiste de la procédure judiciaire comme pourrait l’être Cesare Beccaria, l’auteur « Des délits et des peines ». Plutôt qu’un critique rigoureux du système judiciaire, l’auteur de Micromégas est plutôt dans cette affaire le précurseur d’une forme d’intellectuel médiatique et engagé. Il lance des appels à l’opinion publique, mobilise ses correspondants jusqu’à obtenir la révision du procès. L’arrêt du Parlement de Toulouse est cassé par le Conseil privé du roi le 4 juin 1764, puis, rejugés au fond, tous les accusés sont réhabilités le 9 mars 1765. Louis XV accorde alors des indemnités importantes à la famille.
Il est établi qu’il s’agit bien d’une erreur judiciaire. D’une part Marc-Antoine n’avait jamais manifesté la moindre intention de se convertir, même auprès de la servante de la famille qui était de confession catholique. D’autre part le chirurgien qui a examiné le corps n’était pas capable de faire la différence entre un étranglement et une pendaison. Or Antoine Louis, fameux chirurgien militaire écrira en 1763 qu’un étranglement aurait causé des ecchymoses sur le cou de la victime, et que « les pendus ne meurent pas faute de respiration mais par la compression asphyxiante des veines jugulaires ». Il prouve que Marc Antoine a bien pu se pendre lui-même, et mourir alors même que ses pieds touchaient terre. La vérité paraissant difficile à croire, les Calas et Lavaysse ont préféré présenter la thèse d’une pendaison au montant de la porte, alors qu’il paraissait impossible d’y fixer la corde, ce qui n’a fait que renforcer les soupçons contre eux[1].
La thèse de l’historien de la justice Benoît Garnot à ce sujet est très convaincante, l’affaire Calas est doublement anachronique. D’une part parce que les juges se sont basés sur l’intime conviction pour condamner à mort, comme ils le font aujourd’hui, alors que le droit en vigueur ne leur permettaient pas et que les preuves devaient être moins contestables (aveu, témoignages directs…). D’autre part parce qu’il s’agit d’une manifestation d’intolérance archaïque alors que la tolérance religieuse était devenue largement dominante, ce qui a causé le scandale.
En outre, une lecture de Voltaire sans mise en contexte aboutirait à se faire une fausse image de la justice d’ancien régime, alors que l’on peut rapprocher l’affaire Calas de certaines affaires contemporaines (affaire Dreyfus, affaire d’Outreau…). L’enjeu pour l’institution judiciaire paraît plutôt de résister à une certaine pression des préjugés immédiats. Et en ce qui concerne les bases du droit pénal moderne (présomption d’innocence, nécessité et non-rétroactivité des peines…), elles sont plutôt à chercher chez Beccaria.
A l’époque les avocats ne plaident pas par oral en matière criminelle, mais écrivent des mémoires en défense. Lorsque cela est possible, des témoignages sont habituellement rassemblés pour certifier les bonnes moeurs de l’accusé. On trouve cet extrait dans un mémoire en faveur de Lavaysse:
« Nous soussignés certifions à qui appartiendra que le Sieur François Alexandre Gualbert de Lavaysse a été dans les maison des sieurs Duclos frères négociants de cette ville, en qualité de commis, depuis le mois de décembre 1757 jusques au mois de novembre 1759, et que pendant tout ce tems-là il s’est attiré par les bonnes moeurs, son exacte probité, la douceur de son caractère et mille autres bonnes qualités, l’amitié, l’estime et la confiance des sieurs Duclos et des soussignés, et en général de tous ceux qui fréquentaient la maison des sieurs Duclos, ou qui étaient en relation d’affaires avec eux. Signés: Bonafous-Duclos… Domecq, ancien commis des sieurs Duclos, et autres… » [2]
Le nommé Domecq (sans prénom), commis des sieurs Duclos, qui a témoigné dans l’affaire Calas en faveur de l’invité Gaubert Lavaysse, était probablement Barthélémy Domecq. L’homonymie est peu plausible: un des frères Duclos, Joseph, était parrain de sa fille Josèphe Marie Françoise en 1768.
Les frères Duclos étaient de grands négociants et les propriétaires d’une tannerie de cuir à Lectoure. Il semble que leur négoce ait souffert des effets de la guerre de sept ans (1756 – 1763). Dans le mémoire du sieur Gaubert Lavaysse dans lequel celui-ci (ou son porte-plume) raconte sa vie, il est question de malheurs survenus aux sieurs Duclos qui l’auraient obligé à chercher une autre maison de commerce. Peut-être en est-il de même pour Barthélémy Domecq. Il était commis des frères Duclos probablement en même temps que Lavaysse (entre décembre 1757 et novembre 1759), et ne l’est plus en 1762, lorsqu’il témoigne en sa faveur.
De Toulouse à Bordeaux
Le père de Barthélémy, Jean Domecq, est mentionné comme « laboureur » dans les actes paroissiaux. Il peut être un propriétaire terrien assez important. Le fait de devenir négociant est toutefois pour Barthélémy Domecq une ascension sociale assez rare. L’historien Philippe Gardey a calculé que 60 % des négociants bordelais étaient fils de négociants[3]. Certes, le calcul a été fait sur la génération suivante, entre 1780 et 1830, donc celle du fils de Barthélémy, Clément Domecq, et de son gendre Pierre-Ignace Guichon, qui seront tous les deux négociants à Bordeaux. Il n’empêche que même dans cette époque d’essor du commerce bordelais, les négociants fils de laboureur doivent être rares.
Barthélémy Domecq monte une société à Toulouse au début des années 1760 avec son frère (dont on perd la trace ensuite). Il se marie dans ces années-là à Pétronille Larré, originaire de Bazas, au sud de Bordeaux. Pétronille, prénommée aussi Domenge (Dominique), est d’un milieu d’artisans commerçants. Elle est fille de coutelier (un fabricant de couteau). Du côté maternel elle est la petite-fille d’un « tailleur d’habits pour dame », et la nièce d’un « fabriqueur de bas au métier ». Ce dernier est un tisserand qui utilise un métier pour faire des bas. Les bas sont un élément essentiel du costume de l’époque, qu’il soit masculin ou féminin ; ils sont largement vendus et exportés par des négociants.
« Larré » étant un patronyme béarnais, il est possible que la famille paternelle soit également originaire de cette région frontalière entre Béarn et Bigorre (actuellement Pyrénées-Atlantiques et Hautes-Pyrénées). Cette hypothèse est renforcée par le fait que Jean et Sylvestre Larré, frères de Pétronille, seront négociants à Tarbes[4]. Barthélémy Domecq était probablement en relation d’affaires avec la famille Larré.
Huit enfants naissent à Toulouse à partir de 1763, dont Clément et Catherine surnommée « Titine ». Ils sont baptisés dans la paroisse de la Daurade. Les Domecq habitent dans ce quartier commerçant près de la Garonne.
Barthélémy Domecq achète en 1764 une maison entourée de vignes à Colomiers, dans la banlieue proche de Toulouse[5]. Aujourd’hui très urbanisée, Colomiers est à l’époque rurale, avec beaucoup de vignes. Le négoce étant une activité risquée, c’est parfois un besoin chez les négociants que de placer l’argent gagné, voire de se retirer vers la rente. La propriété peut également servir de production agricole (vinicole ou maraîchère) qui peut ensuite être vendue sans intermédiaire, ce qui peut augmenter les bénéfices. Si Barthélémy Domecq vendait certainement le vin issu de cette propriété, on peut cependant penser que le but recherché était aussi l’agrément d’une habitation hors de sa boutique toulousaine de la rue de la Bourse.
Entre 1772 et 1773, il déménage à Bordeaux rue du chai des farines, dans le centre-ville qui compte de nombreux marchands et négociants. Les entrepôts des négociants se situaient généralement dans un de ces rues derrière la première rangée d’immeuble ayant leur façade sur le quai. C’est là que sa dernière fille, Dorothée surnommée « Gracieuse », naît le 11 juillet 1773.
Pétronille aura donc accouché de neuf enfants entre février 1763 et juillet 1773. L’intervalle entre les naissances (intervalle intergénésique disent les statisticiens) est donc très court, elle aura passé toutes ces années presque constamment en état de grossesse jusqu’à l’âge d’environ 38 ans. Sur les neuf enfants du couple, seuls trois ont atteint l’âge adulte[6]. C’est moins que la moyenne de l’époque, sans être non plus extraordinaire[7].
Cette installation à Bordeaux n’est pas rare non plus. Beaucoup des négociants installés n’y sont pas nés, et beaucoup viennent du bassin de la Garonne[8]. C’est l’essor du commerce bordelais qui peut l’expliquer. Voici un exemple de ce qu’on dit de Bordeaux à l’époque:
« Cette ville forme, en suivant la courbure de la Garonne, un croissant dont la partie orientale comprend la ville, et la partie occidentale le faubourg des Chartrons, un des plus remarquables qu’il y ait en France par son étendue et par la beauté de ses bâtiments. Quand on arrive par eau du côté de Blaye, la largeur de la Garonne, les nombreux vaisseaux fixés au port, les quais, les édifices modernes et uniformes qui suivent la vaste sinuosité de cette rivière et la bordent dans une étendue d’une grande demi lieue, offrent le tableau le plus varié et le plus magnifique qu’on puisse imaginer: Paris n’a rien de si imposant… On entre dans Bordeaux par dix-neuf portes, dont douze sont du côté de la rivière, et sept du côté de la terre. En général, les rues y sont assez étroites et le pavé est mauvais. […]
Caractère des Bordelais. Les voyages, la fréquentation des étrangers, la politesse du siècle, une éducation plus soignée ont beaucoup adouci à Bordeaux les traits peu avantageux qui caractérisent l’esprit dominant de toute la Gascogne. Les habitants de cette capitale se sont surtout fait remarquer par leur activité et leur bonne foi dans le commerce, mais ils sont méprisants pour tout ce qui n’est pas riche, pour tout ce qui n’est pas de Bordeaux. La jeunesse, bouillante et courageuse, a conservé ce caractère audacieux qui fait des héros dans les combats et des tapageurs en temps de paix. Les duels y sont assez fréquents. Les filles publiques paraissent en proportion aussi brillantes et aussi nombreuses qu’à Paris. Les meilleures dispositions à la raison y sont étouffées par la vanité d’usage: paraître est un mot dont la puissance occulte assujettit tous les esprits à la même loi. Cette faiblesse est continuellement alimentée, ainsi que le luxe et la débauche, par le concours des habitants des colonies de l’Amérique, qui, empressés de jouir, viennent dissiper dans cette ville leurs richesses avec un éclat séduisant qui donne au luxe et aux vices une considération funeste. Leur or et leurs désirs épuisés, ils partent et dérobent au lieu où ont triomphé leurs désordres le salutaire exemple des maux qui les suivent. »[9]
Le snobisme et la critique du snobisme sont les deux faces d’une même très ancienne pièce. Le discours est aussi ancien que le refrain sur les « jeunes d’aujourd’hui ». Mais il paraît plus intéressant de remarquer qu’il n’est nullement question de noblesse ici, comme si la révolution avait déjà eu lieu, et que schématiquement une société de classe avait déjà succédé à une société d’ordre. Si l’on en croit ce texte, à Bordeaux dans les années 1780 on ne montre pas ses quartiers de noblesse, mais son luxe.
Toujours est-il que la population de Bordeaux est en forte hausse au XVIIIe. Elle fait plus que doubler au cours du siècle, accroissement plus fort que toute autre grande ville française. On constate un très grand dynamisme du port. Contrairement à Nantes, Bordeaux n’est pas simplement un port négrier, mais aussi un port d’exportation des produits du bassin aquitain et généralement un port de commerce avec l’Europe.
Le négociant est bien à distinguer du marchand. Le terme de négociant se suffit à lui-même, celui de marchand est complété par un complément d’objet. On est toujours marchand de quelque chose[10]. Il existe par exemple à Bordeaux des marchands de graisseries (charcutier en dialecte local), de toiles, de grains et farines, de poissons, de chapeaux… Mais aussi des merciers-quincailliers, des distillateurs-liquoristes (comme Marie Brizard, qui a réellement existé et est à l’origine de la marque) ou encore des parfumeurs. C’est un commerce de petite boutique, de proximité.
Les archives montrent bien que l’on a quatre catégories de négociants. Ils sont armateurs, assureurs, banquiers ou commissionnaires[11]. Le négociant n’est pas simplement un « gros » marchand avec un grand entrepôt au lieu d’une petite boutique, il a un commerce de nature différente. Il s’agit de vente en gros, non spécialisée et souvent internationale.
Barthélémy Domecq est un négociant commissionnaire dont l’essentiel de l’activité se situe entre Bordeaux et l’intérieur du pays. On en a pour preuve la publicité qu’il faisait publier dans différents journaux:
20 Mars 1777:
Un jeune homme qui a exercé ses talens dans différents Collèges de la Province de Languedoc, et peut se flatter d’avoir formé de bons sujets, qui ont fait facilement sa méthode d’enseigner, tant elle est aisée, souhaiterait augmenter le nombre de ses écoliers ; il donnera des leçons de Grammaires Latine et Française, de Géographie, de Mythologie, & enseignera d’autres petites choses, qui ne contribuent pas moins à l’éducation des enfans : s’adresser à M. Domecq, Négociant, rue du Chay-des-Farines, près la porte St. Pierre.[12]
18 Juin 1778:
Le Messager de Pau vient de changer son entrepôt, qui sera à l’avenir chez M. Domecq, Négociant, près la porte du Chay-ies-Farines , où l’on pourra faire remettre les effets qu’on voudra expédier par cette Messagerie, & faire retirer ceux qu’on sera dans le cas de recevoir. On pourra aussi arrêter à l’avance les places qu’on souhaitera , au prix & conditions ordinaires.[13]
25 janvier 1781:
Une partie de jambons du Béarn , bien conditionnés, propres à la consommation , et particulièrement pour expédier aux ïles : s’adresser à M. Bmy. Domecq , Négociant, rue du Chay des-Farines.[14]
11 Octobre 1781:
Un Prêtre, consacré depuis longtemps à l’éducation de la jeunesse, désirerait trouver une éducation particulière distinguée ; il donnera les renseignements satisfaisants et nécessaires sur ses talens et sur ses mœurs : s’adresser à M. Domecq, Négociant, rue du Chay-des-Farines. [15]
31 Janvier 1782:
Deux Maîtres de bateau , venant de Toulouse , ont déposé en Ville deux colis de marchandises, faute d’avoir pu trouver les propriétaires ; l’un contenant peaux de maroquin apprêtées , venant de Beaucaire , et adressées à M. Chalamer , Négociant à Bordeaux , marqué NE, n°. 3 ; & l’autre contenant liqueurs , adressé à M. Prunetes , place Tourny, à Bordeaux , marqué M P : ces deux colis font dans le magasin de M. B. Domecq , Négociant, rue du Chay-des Farines , qui les délivrera aux personnes qui représenteront les notions requises pour établir leur propriété, en remboursant les frais. Ledit sieur Domecq a à vendre quelques boucauds d’amandes calées en coque , dont il fera bonne composition. [16]
15 mai 1787:
Une femme , âgée de 30 ans, accouchée depuis 10 mois , & qui demeure à Roque-De-Thau, désirerait trouver un nourrisson. S’ad. à M. Domecq, Négociant, rue du Chay-des-Farines[17]
9 Novembre 1789:
EFFETS A VENDRE.
Mouchoirs du Béarn , de qualité supérieure, bons pour pacotille , et à prix de fabrique. S’ad. rue du Chay-des-Farines, chez Mrs Domecq père & fils, qui vendront aussi quelques pièces de beau drap bleu, de Carcassonne, pour uniformes.[18]
10 Février 1790:
50 paires de souliers pour femmes, bien faits , & à un prix très-modéré. S’ad. rue du chay des Farines , n°30 , chez M” Domecq pere Si. fils , Nég., qui vendront ou échangeront une maison rue des Ayres , contre un bien de campagne , n’importe à quelle distance de Bordeaux, pourvu qu’il soit situé dans un bon fonds. Lesdits sieurs vendront aussi un tonneau de vin rouge , de Haut-Brion[19] , de l’année 1784; deux barriques de vin blanc , de S’-Bris[20] , de l’année 1785; 100 douzaines de mouchoirs du Béarn, propres pour les Colonies, à prix de fabrique, & une partie de fromage, croûte-rouge & pâte-grasse , de Hollande[21]
30 mars 1790 :
M” Barthélémy Domecq, pere & fils, préviennent le public qu’ils viennent de recevoir un assortiment de draps, bleu de Roi, des fabriques de Lodève & de Carcassonne, propres pour les Colonies & la consommation intérieure, & qu’ils vendront à prix de facture. On trouvera aussi chez, eux des fromages pâte grasse & ronds, propres pour cargaison[22].
19 septembre 1790:
Effets à vendre
Une Limonière[23], à glaces, à 4 places, solide, très-commode & propre pour le voyage. S’adr. à l’hôtel des Sept-Frères ; ou , rue du Chay-des-farines, chez M. Domecq, pere & fils.[24]
13 Octobre 1790:
Une ci-devant Seigneurie, dans le Département des Hautes-Pyrénées, à 4 lieues des bains de Bagnieres, à 2 lieues de la ville de Tarbe, & consistant en une belle maison de maître , à la moderne , dans une très-belle position, & à proximité de la route de poste; autres bâtimens & agrémens ; terres labourables, prairies , bois, vignobles , moulins, idem à scier le bois, tuileries, rentes en grains, idem en argent, & à vendre avec toutes sûretés, et toutes facilités qu’on pourra désirer pour le paiement. S’adr. pour de plus amples renseignements, à M” Bmy Domecq, père et fils, Nég”, rue du Chay-des-Farines, n° 30.[25]
26 Janvier 1793:
La commune de St-Morillon , à 3 quarts de lieue de Laprade, & à une lieue de Castres, demande un citoyen qui soit en état de remplir la place de secrétaire-greffier de la commune, & qui en même tems voudroit se charger de celle de maître d’école. Ces deux emplois réunis lui donneraient un traitement honnête & de petits accessoires. S’adr. Aux cit. Domecq pere &t fils, nég. , rue du Chai-des-Farines, n°.30, à Bordeaux.[26]
Barthélémy Domecq vend des produits de sa région natale du Béarn, mais aussi des produits venant de plus loin à l’est. Beaucoup de négociants font de même : ils gardent des contacts dans leur région d’origine, ce qui leur permet de « tenir » ces échanges commerciaux. Ils ont leurs fournisseurs habituels. Preuve de ces contacts étroits, Barthélémy Domecq travaille avec le messager de Pau qui est l’ancêtre du facteur et un service de diligence. Il dispose non seulement de correspondants dans le Béarn, mais également à Toulouse, son ancien lieu d’habitation.
Il devait être difficile d’ouvrir des relations commerciales. Avec un marchand inconnu, on s’assurait d’avoir des recommandations. On faisait connaissance en échangeant de petites quantités dans les débuts[27].
Le transport se fait par la Garonne évidemment, grâce aux mariniers. Mais la voie terrestre reste probablement très utilisée, même si c’est un lieu commun à l’époque de la dénigrer et de se plaindre de l’état des routes (On retrouve cette plainte dans la plupart des cahiers de doléances lors des Etats généraux).[28] La Garonne peut être difficilement navigable à certaines périodes, les inondations sont possibles.
Barthélémy Domecq a probablement aussi des contacts importants avec la Hollande. Il vend à Bordeaux des fromages hollandais et on sait par sa réclamation contre l’emprunt forcé que l’on verra bientôt qu’il avait des créanciers en Hollande, à Amsterdam et Rotterdam. Il est très possible qu’en retour, il vendait en Hollande des produits du bassin aquitain. A l’époque les fromages de Hollande étaient plus réputés que les fromages français. D’une manière générale, le fromage n’était d’ailleurs pas très en vogue en France. « Jamais homme sage ne mangea fromage » disait-on d’une façon proverbiale. Legrand d’Aussy, auteur d’une Histoire de la vie privée des Français depuis l’origine de la nation jusqu’à nos jours, parue en 1782, enseigne à ses lecteurs que leurs ancêtres mangeaient du fromage ! « Il en a été du goût pour le fromage, ainsi que celui pour les pâtes. Nous les regardons aujourd’hui l’un et l’autre comme propres seulement à l’Allemagne et à l’Italie, et l’un et l’autre ont fait longtemps les délices de nos Pères. »[29] Le fromage reste en tout cas idéal pour les cargaisons. Il est couramment consommé par les marins.
Certaines publicités montrent des activités qui ne sont pas de la vente de marchandises: le négociant peut pratiquer le métier d’agent immobilier, il communique aussi à la fois les offres et les demandes d’emploi. Le comptoir est même un centre de dépôt des objets trouvés. Le négociant n’assure pas seulement le lien entre un producteur et un acheteur de marchandises, mais il fait également le lien entre les hommes.
Il est fréquent que l’on attribue la naissance du capitalisme aux marchands et négociants du XVIIIe siècle. Max Weber dans l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, fait de l’éthique protestante aboutissant à l’enrichissement l’explication du développement du capitalisme à partir du XVIIIe siècle. Fernand Braudel parle plutôt de l’Italie du nord et du monde méditerranéen dès le XIVe siècle. Mais il faut s’entendre sur la définition du capitalisme… On connaît également les célèbres phrases du Manifeste du parti communiste de Karl Marx au sujet de la bourgeoisie[30]. Les économistes néo-classiques ne sont pas en reste en matière d’abstraction quand ils bâtissent leurs modèles sur un homo economicus capable en permanence d’analyse et de rationalité parfaite. Tous ces modèles globaux d’explication du monde ne sont pas sans intérêt, mais sont totalement inutiles pour une tentative de biographie.
On associe cette naissance du capitalisme à une certaine froideur, la naissance d’une autre monde, le monde du calcul. Les différentes sources qui concernent nos prétendus premiers capitalistes montrent une sociabilité éloignée de cette froideur. Joël Cornette fait cette remarque dans son étude sur le négociant Benoit Lacombe: « Nous pensions découvrir une mentalité capitaliste en formation, nous trouvons tout au plus l’idéologie étriquée d’un jeune négociant qui ne songe qu’à répartir son petit capital à peine constitué dans des affaires réduites et multiples. » Les négociants ne sont pas toujours rationnels. Ils aiment, détestent, s’entraident parfois. Au voyageur de passage, le négociant fournit couche et souper. Il peut servir de poste restante, fournir des espèces, trouver un logement. On peut imaginer rencontres, discussions, débats. Plus que par ses ventes de livres, le négociant peut être vecteur d’idées par sa conversation. Ce n’est pas la conversation des salons, le subtil art français classique mêlant esprit de finesse et ordonnancement clair du discours. Car ce n’est pas une sociabilité d’aristocrates, l’otium se mêle peu au neg-otium, le temps libre au temps compté. Mais on se rend des services, on fait visiter la ville. On voyage et comme l’écrivit Montaigne, le plus célèbre des Bordelais: « Il faut voyager pour frotter et limer sa cervelle contre celle d’aultruy ». C’est dans ce milieu qu’évolue la famille Domecq.
C’est la famille en effet dont il est question, et non Barthélémy seul. On peut noter dans les publicités qu’à partir de 1788, Barthélémy Domecq associe son fils à ses affaires. Il le fait par un acte sous seing privé dont il est question dans l’acte de mariage de Clément Domecq: la société Barthélémy Domecq et fils est constituée. S’agissant des femmes de la famille, on ne peut que présumer. Dans le milieu des négociants, les jeunes filles ne font pas l’apprentissage du métier comme peuvent le faire les jeunes garçons, souvent commis ou marins pendant quelques années dans les affaires du père ou d’une de ses relations. Il arrive cependant que les veuves reprennent le commerce de leur mari. Même si le niveau de vie des Domecq leur permettait certainement d’avoir des domestiques, il paraît impossible que Pétronille Larré ait participé d’une manière importante à la vie du comptoir de son mari, inconciliable avec la tenue d’un ménage (rappelons qu’elle a eu neuf enfants). Il n’en est pas forcément de même des deux filles qui ont pu y travailler d’une manière accessoire jusqu’à leur mariage. Dorothée épousera Pierre-Ignace Guichon, qui travaille avec son père (et peut être un peu avec elle ?) Et surtout la soeur aînée, Titine, vivra sous le même toit que le comptoir de son père, puis de son frère jusqu’à son mariage en 1807 à 37 ans, dix ans après la mort de son père; on peut l’imaginer facilitant les activités du négoce. On reste cependant insatisfait des connaissances sur les activités précises de ces femmes.
Une des publicités, celle qui est parue dans le Journal de Guienne du 30 mars 1790 présente une particularité intéressante : l’adresse du comptoir n’y est pas mentionnée. S’il ne s’agit pas d’une erreur, on peut y voir un indice de notoriété. Cela montre que Barthélémy Domecq était suffisamment connu pour ne pas rappeler son adresse à ses potentiels clients, cherchant à charger des cargaisons pour l’Amérique ou ailleurs.
Nous ne disposons pas de la correspondance de Barthélémy Domecq. Celle d’un autre négociant bordelais « ordinaire » de la même époque, Benoît Lacombe, a été bien étudiée par Joël Cornette. On y voit un négociant qui tente d’anticiper les retournements des prix, de faire du profit grâce aux évènements politiques ou climatiques. Par ces correspondants, il cherche à obtenir des informations avant tout le monde, par exemple une évolution des prix dans une ville. Cela va guider ses achats, et éviter les invendus. Le petit négociant est forcément désavantagé par rapport au gros négociant pouvant garder des stocks, prendre des risques et subir des pertes sur une opération, pour faire des bénéfices sur d’autres. Le rapport à l’Etat est ambivalent: on cherche à échapper à l’octroi, aux taxes, mais on se satisfait qu’il fasse respecter le protectionnisme contre la concurrence étrangère[31].
Le commerce colonial est alléchant, mais il est risqué. Il est donc plutôt réservé aux négociants de grande envergure, qui ont des bateaux, des entrepôts, et qui dominent le marché.[32] Barthélémy Domecq semble se consacrer au commerce intérieur, quitte à fournir les bateaux qui partent pour l’Amérique. Il est alors une sorte de sous-traitant des gros négociants.
A la dureté de la concurrence, s’ajoute les tromperies, dont Lacombe donne un exemple:
« C’est une science pour que les barriques paraissent grosses et qu’elles ayent en dehors 32 veltes et endedans elles ne contiennent que 30 tout au plus… »[33]
Tricherie sur la quantité et la qualité, du vin et des autres produits, pour échapper au fisc ou tromper le client : voilà ce qui pouvait se pratiquer sur la place de Bordeaux.
Des ventes de livres
On sait par ailleurs que Barthélémy Domecq vendait des livres.
Les frères Domecq sont cités dans une affaire de livres interdits qui concernent les frères Chappuis, libraires à Bordeaux. Des livres interdits imprimés à Genève, adressés par le libraire aux frères Chappuis dans un ballot, avaient été interceptés à Marseille en 1772. Ils devaient, selon le mémoire en défense des Chappuis, passer par Toulouse, où les frères Domecq auraient dû les faire passer à Bordeaux. Les Chappuis auraient ensuite dû les faire embarquer jusqu’à Lisbonne[34].
Jacques François Chappuis aura beau argumenter qu’il n’est qu’un commissionnaire, un « homme passif », que son rôle « consiste à vérifier si la balle dont il a reçu avis est bien conditionnée; si elle n’a rien souffert par la négligence du voiturier, si les mémoires sont les mêmes et conformes à la teneur de la lettre de la voiture: cette vérification faite, le commissionnaire fait suivre la balle à sa destination, en la confiant à un autre roulier, qui est chargé d’acquitter les frais de douane et autres qui se perçoivent dans la route. ». Il plaide comme il peut: « Rien de plus secret dans le négoce que l’intérieur d’une balle entre les mains du commissionnaire: il ne peut ni l’enventrer ni la sonder, c’est un dépôt qui doit sortir de son magasin de la même manière et dans le même état qu’il y est entré… »
Rien n’y fera, la société Chappuis sera considérée comme responsable de ce qu’elle devait transporter[35]. Chappuis sera donc condamné à 3000 livres d’amende. Il n’y a pas de trace de condamnation pour Domecq.
Barthélémy Domecq est aussi un correspondant de la Société typographique de Neuchâtel (STN). Dans les années 1770 et 1780, la STN est à la fois une maison d’imprimerie et un des plus grands libraires en gros d’Europe (Ses riches archives ont été bien étudiées par l’historien américain Robert Darnton). De Londres à la cité papale d’Avignon, en passant par Amsterdam et la Suisse, les imprimeurs échappent à la censure qui s’exerce en France. On pratique aussi allègrement la contrefaçon. Les livres interdits pour des raisons politiques, morales ou religieuses sont ensuite massivement vendus en France. On pense bien sûr aux ouvrages des Lumières mais on trouvait aussi des livres pornographiques ou protestants.
Le commerce des livres est particulièrement étudié par les historiens, non seulement parce que les sources sont relativement abondantes, mais aussi parce que les questions théoriques que l’on peut poser à partir des faits sont intéressantes, par exemple le point de savoir dans quelle mesure on peut dire que la Révolution française est causée par la littérature des Lumières. Les livres les plus vendus ne sont pas forcément ceux des auteurs phares des Lumières enterrés au Panthéon. On lisait aussi des auteurs aujourd’hui moins connus, comme Louis-Sébastien Mercier, auteur en 1771 de la fiction d’anticipation L’An 2440, rêve s’il en fut jamais, qui montre une France libérée des oppressions dans laquelle l’esprit des Lumières a gagné.
Un des commis de la STN, Jean-François Favarger, entreprend en 1778 un tour de France des libraires pour essayer de vendre[36]. C’est un suisse protestant, mais la STN vendait toutes sortes de livres.
Dans son journal il note ceci:
« – Roques Maret, parfumeur rue Ste Catherine est fort bon : ci-joint sa commission. Il faut faire attention d’envoyer le tout à Domecq pour tenir à la disposition de Pascot Maret liquoriste même rue car Roques ne veut pas être nommé. Il paiera à la réception de la marchandise, il faudra tirer sur lui.
– Domecq à qui j’ai été recommandé par Chaurou, paraît un homme intelligent et fera pour nous ce qui sera en son pouvoir. »[37]
Il écrit ensuite à sa société:
« J’ai découvert ici un marchand parfumeur qu’on dit très riche et qui tenait autrefois des livres protestant, malgré qu’il n’en tienne plus, je l’ai engagé de faire un essai surtout de notre Bibles et voici sa commission.
Commission de M. Roques, marchand parfumier […] Sainte Catherine à Bordeaux pour être envoyée à M. Domecq qui sera notre commissionnaire ici, lequel devra tenir lesdits livres à la disposition de M. Pascot marchand de liqueurs à la même rue, car le premier ne veut pas être connu. Le tout pour être rendu à nos risques jusques à Bordeaux [franco] Lyon, car il n’y a pas moyen de faire autrement ici.
Ex. 13 pour 12 Bible folio
26 pour 24 Grand catechisme d’Ostervald
6 Entretiens solitaires
2 Fables de La Fontaine sans figures
13 pour 12 Liturgie des Protestants de France
13 pour 12 Nouveau Testament
2 Sermons de Bons 3 volumes
4 Sermons de Durand 6 volumes
4 Sermons de Jacquelot
13 pour 12 Sermons pour les fêtes de M. Bertrand
6 Sonnets chrétiens
4 Morale évangelique 9 volumes
13 pour 12 Psaumes gros caractères édition sous presse à Lausanne »[38]
Tous les livres listés ci-dessus, sauf les Fables de La Fontaine, sont des livres du culte protestant. La bible d’Ostervald est une bible traduite par un pasteur neuchâtelois qui est alors une des plus utilisées par les Protestants.
Aux risques judiciaires s’ajoutaient les aléas des transports:
« Nous référant au contenu de nos dernières, nous ne pouvons encore vous donner note exacte de ce qui s’est trouvé endommagé dans vos balles… Ce Monsieur nous prie de faire toute diligence pour lui faire parvenir le plus tôt possible. Nous attendons vos ordres. En conséquence, nous avons donné cours à la balle BL n°87 à M. Domecq, négociant à Bordeaux en pressant les préventions requises pour éviter les accidents de route. Cette balle n’a pas été mouillée. »[39]
Barthélémy Domecq nouera ensuite d’autres liens avec les libraires bordelais: sa nièce (qui est aussi sa pupille) épouse en l’an II (1794) un fils d’un des libraires bordelais Labottière (cousin de ceux qui firent bâtir dans Bordeaux l’hôtel Labottière) et la signature de Chappuis figure sur l’acte de mariage.
Avant d’aborder la politique, récapitulons ce que nous savons sur le rapport de Barthélémy Domecq à la religion.
- Pontacq et Barzun, comme les environs de Pau, la ville de Jeanne d’Albret et d’Henri IV, étaient des foyers de calvinisme au XVIIe siècle[40]. Les messes catholiques y avaient même presque disparues avant qu’en 1605 Henri IV étende à tout le Béarn la liberté du culte catholique. Quelques mois avant l’édit de Fontainebleau de 1685 (mieux connu sous le terme d’abrogation de l’édit de Nantes), les dragonnades (destructions, pillages et brimades en tout genre) s’abattent sur les Protestants du Béarn et de nombreux réformés se convertissent sous la menace. Ces conversions sont même un prétexte à l’abrogation de l’édit de tolérance !
Un petit nombre de réformés s’exilent, mais la plupart deviennent des « nouveaux catholiques ». Barthélémy Domecq avait certainement des ancêtres protestants. C’est patent pour son gendre Pierre-Ignace Guichon: ses arrière-grands-parents Samuel Barbenègre[41] et Marie Deleuge ont par exemple renouvelé leur abjuration avant leur mariage dans l’église de Pontacq:
« le vingt cinquième jour de novembre 1700 Samuel de Barbenègre et Marie Deleuge de cette paroisse ont renouvelé devant les autels de cette église l’abjuration qu’ils ont cy devant faite de la religion prétendue réformée ont demandé pardon à Dieu en l’église de n’avoir point cy devant fait avec dévotion nécessaire la profession de la religion catholique apostolique et romaine qu’ils ont embrassé »[42]
- Barthélémy Domecq témoigne dans l’affaire Calas.
- Il vend des livres protestants. Ce qui est une activité risquée.
- Il est négociant, profession où l’on compte de nombreux protestants.
- Barthélémy tient son prénom de son parrain lors de son baptême catholique. C’est un prénom très porté chez les protestants. S’il est moins connoté que certains prénoms issus de l’ancien testament (Samuel, Isaac…), ce prénom d’un des apôtres est cependant un prénom fréquemment porté par les protestants et peu par les catholiques, d’après les études statistiques qui ont été faites[43]. Il fait évidemment penser au massacre de 1572, on peut éventuellement faire l’hypothèse de la bravade pour expliquer que les réformés appellent leurs enfants ainsi.
- On peut rajouter encore cet extrait d’un appel au don qu’avec d’autres volontaires, les Domecq font publier dans le Journal de Guienne: « Dans un moment où l’Assemblée Nationale vient de décréter, & d’approuver, non feulement le plan du premier Ministre des Finances, mais encore la remise de l’argenterie des Églises, qui n’est pas nécessaire à la décence du Culte Divin, il parait naturel que tous les Citoyens, sans distinction, s’empresseront de concourir… »[44] Barthélémy Domecq considère que le culte divin ne nécessite pas de dorures. Ce n’est pas une opinion très catholique[45].
Une lettre reçue par Barthélémy constitue enfin un dernier indice. À Montauban en 1790, la violence montre que les rancunes entre communautés n’ont pas disparu. Cinq protestants appartenant à la garde nationale sont lynchés par une foule qui aurait été entraînée par des prêtres et des aristocrates. Les autorités sont obligées d’emprisonner un certain nombre de gardes pour les protéger. Après ces événements de Montauban, Barthélémy Domecq est un des premiers informés par une lettre que lui envoie un de ses amis. Cette lettre est d’ailleurs publiée[46], et ce sont les gardes nationaux de Bordeaux qui partiront rétablir l’ordre révolutionnaire, sans même attendre la demande de Paris.
Rien n’est décisif mais l’ensemble paraît suffisant pour emporter la conviction: on peut considérer Barthélémy Domecq comme protestant. Certes, lui et ses enfants sont tous baptisés en l’église catholique. Mais cela peut s’expliquer.
De 1685 à 1787 (voire 1789), les calvinistes vivent le désert, nom donné par analogie avec la traversée du désert par les Juifs. Les persécutions incitent à une pratique secrète. Mais les pasteurs ne recommandent pas une stratégie de dissimulation derrière une pratique catholique de façade. Les baptêmes et mariages catholiques ne sont pas acceptés. Bien au contraire, le synode national de 1747 qui a lieu clandestinement dans le Vivarais rappelle que les baptêmes et mariages catholiques sont interdits sous peine d’excommunication[47].
Pour autant, à Barzun en 1738 et à Toulouse dans les années 1760, le baptême catholique semble une formalité indispensable, le scandale aurait été trop grand… Cela explique que tous les enfants Domecq ont été baptisés (ou en tout cas, neuf !). Jean Calas lui-même avait fait baptiser ses enfants dans l’église St Etienne de Toulouse, y compris le suicidé Marc-Antoine.
Ce sont des clercs qui sont parrains de deux enfants Domecq. Est-ce le signe que la famille fréquentait beaucoup le clergé catholique ? Une interprétation opposée semble meilleure : la famille ne se préoccupe pas de trouver un parrain et une marraine. On fait baptiser le nouveau-né par obligation. Pour cela on se présente à l’église et on demande à un quelconque chanoine[48] ou sous-diacre[49] d’être parrain. Quatre des neuf enfants n’ont d’ailleurs qu’un parrain et pas de marraine.
Mais Barthélémy ne fuit pas le clergé catholique. On l’a vu, il peut aider un prêtre à trouver une place. Il fait certainement des affaires avec les marchands et négociants de toute religion: catholiques, juifs et protestants.
A partir de l’édit de 1787, les protestants ont le droit d’établir un état civil. Il est à noter qu’on ne trouve pas de Domecq dans l’état civil de « régularisation » des actes du désert à Bordeaux à partir de 1787, dans lequel on retrouve quelques grands noms du négoce comme Nairac ou Balguerie.
La pratique est restée discrète. On ne peut exclure, dans un contexte de déchristianisation, que ce protestantisme ne se réduise à quelques éléments d’identité culturelle ou de solidarité à l’intérieur d’une communauté. Cela expliquerait l’absence de régularisation dans l’état civil de Bordeaux. C’est possible, mais faute de source, on ne pourra pas rentrer profondément dans la conscience de Barthélémy Domecq ni connaître sa pratique quotidienne. Quoiqu’il en soit, le propre du calvinisme est de croire que les élus sont amenés au salut en recevant un appel intérieur spécial. Il prône une liaison avec le divin et les écritures sans médiation inutile, et place l’essentiel dans l’intimité d’un individu, certes sans reniement, mais sans non plus un nécessaire affichage spectaculaire. Et surtout, on peut comprendre que même dans un contexte de tolérance grandissante, l’affaire Calas et le massacre de Montauban incitent à la discrétion dans ses pratiques.
Après le protestantisme, il nous faut évoquer la franc-maçonnerie.
Barthélémy Domecq et son gendre Pierre-Ignace Guichon ont de drôles de signatures.
Pourquoi ? Il s’agit tout à fait du genre de question à laquelle on pourrait répondre par plaisanterie « pour faire parler les curieux ». Cet usage des deux traits et des trois points est très courante à l’époque[50]. Est-ce une coquetterie ?
S’il s’agit de montrer l’appartenance à une société secrète, on peut faire remarquer sans espièglerie excessive que la discrétion n’est pas de mise. Si la signification peut rester secrète, en revanche l’appartenance à la présumée guilde des signataires en « triponctuation » ne l’est pas du tout. Les points pourraient représenter le passé, le présent et l’avenir, ou les colonnes du temple, ou encore les trois points en tant que signe de ponctuation. Les deux traits seraient l’ancien et le nouveau testament. Plus inhabituelles sont la spirale finale et les boucles en dessous qui nous font penser à une corde et un nœud de chaise, qui chez Barthélémy apparaissent dès sa période toulousaine. Symbole de marins ? L’imagination est sans limites… et l’appartenance à la franc-maçonnerie serait une explication possible, peut-être la meilleure[51].
La franc-maçonnerie est très présente dans les milieux négociants à Bordeaux (et très présente chez les esclavagistes), au moins autant chez les protestants que chez les catholiques. Mais il semble que l’usage de cette signature en France s’est répandu avant l’arrivée de la franc-maçonnerie[52]. Ni Domecq ni Guichon n’apparaissent dans les recensements (forcément non exhaustifs) des francs-maçons. Une autre société secrète serait également envisageable. Malgré les Lumières, de nombreuses sociétés pseudo-scientifiques prospèrent à l’époque. Comme beaucoup de futurs révolutionnaires (Marat, Brissot, La Fayette…), de nombreux négociants bordelais font partie d’une secte croyant au magnétisme animal autour du charlatan Messmer[53]. Domecq ne figure pas dans la liste de leurs membres constituée d’une partie de l’élite de la ville[54], et rien ne montre qu’ils aient eu une signature particulière.
On peut aussi penser à une sorte de formule porte-bonheur. La signature est pour beaucoup de gens du temps un des rares cas où l’on prend la plume (ce n’est évidemment pas le cas de négociants habitués à écrire dans l’exercice de leur profession, mais comme on l’a dit, il s’agit d’une mode, elle peut donc s’être propagée). La relation à l’écrit serait alors celle qu’on aurait à quelque chose de rare, mais de décisif.
L’alphabétisation croissante de la population a remplacé parfois l’usage de la croix, symbole lourd de sens s’il en est en pays chrétien, par l’écriture du nom patronymique. Il s’agit d’approuver le contenu d’un écrit, et pour cela d’inscrire le nom patronymique, qui nous caractérise après avoir caractérisé notre père, le père de celui-ci et nos innombrables aïeux, mais dont l’origine paraît mystérieuse (surtout en France, où l’on trouve souvent l’origine des noms de famille dans le bas-latin ou dans un ancien dialecte régional qui n’est plus parlé par le porteur du nom). La signature liée à l’engagement juridique aurait donc quelque chose de « magique », et la superstition trouverait sa place.
Et comme pour certains rites religieux, on trace un signe comme on accomplirait un rituel sans forcément penser à son sens, voire même sans le comprendre.
Tous ces développements sont des tentatives, peut être laborieuses, pour exposer ce qui semble être les meilleures raisons de ces étranges signatures, à condition qu’il y ait vraiment des raisons !
L’engagement politique
Les Domecq font preuve d’un engagement politique plus fort que l’engagement religieux. A deux reprises, Barthélémy Domecq fait un don patriotique et lance un appel au don. En 1789, il est membre d’un groupe qui fait paraître le message que nous avons déjà évoqué, et dont voici l’intégralité:
HOTEL-DE- VILLE,
Adresse à Messieurs les Quatre-Vingt-dix Électeurs des Communes de Bordeaux.
MESSIEURS, Les Volontaires Patriotiques du Régiment de la Paroisse de S’-Pierre de cette Ville, animés du désir de concourir au rétablissement des Finances de l’Etat, & prévenus du plan annoncé par les Volontaires de la Garde Nationale Parisienne, d’envoyer leurs boucles d’argent à la disposition de l’Assemblée Nationale, pour être converties en espèces , ont l’honneur de s’adresser à vous, Messieurs , pour vous communiquer leurs intentions , & vous prier de faire agréer ce faible tribut de leur patriotisme, & de l’intérêt qu’ils prennent à la situation actuelle des besoins de la Nation.
Ce faible sacrifice, qui ne peut gêner en rien les bons Patriotes, peut devenir très important pour la chose publique, s’il est généralement adopté , comme il est à présumer qu’il le sera, & que le même empressement qu’on a montré pour prendre la Cocarde Nationale pour soutenir la liberté & la régénération Françoise, inspirera les mêmes sentiments à tous les individus de faire le léger sacrifice de leurs boucles d’argent, qu’ils pourront remplacer à peu de frais par des boucles de cuivre, assorties à l’habit militaire & autres, attendu que tous les Citoyens font les Soldats de la Patrie.
Nous vous prions, Messieurs, d’agréer le zèle Patriotique qui nous a inspiré cette démarche, & de délibérer dans votre sagesse sur les moyens les plus propres à exciter une émulation générale en ce genre. Dans un moment où l’Assemblée Nationale vient de décréter ,& d’approuver , non seulement le plan du premier Ministre des Finances, mais encore ia remise de l’argenterie des Eglises, qui n’est pas nécessaire à la décence du Culte Divin , il parait naturel que tous les Citoyens, sans distinction, s’empresseront de concourir, par tous les moyens possibles, & notamment par celui que nous venons d’indiquer, à la régénération de l’Etat, & à soutenir l’honneur & la loyauté Françoise.
Pénétrés de ces sentiments, Messieurs, nous osons nous flatter que vous daignerez accueillir nos hommages, & d’être les interprètes des voeux que nous adressons au Ciel pour la prospérité de l’Etat.
Nous avons l’honneur d’être avec un profond respect, MESSIEURS, Vos très-humbles & très-obéissants serviteurs, J” B” Salenave, Volontaire du Régiment de St.-Pierre. Bmy Domecq pere. Domecq fils. Druilhes, Caporal. P. Tenaud.[55]
Remarquons après le satisfecit de la fonte de l’argenterie des églises, les « voeux adressés au Ciel pour la prospérité de l’Etat ». Le Dieu catholique a disparu des discours, place à la religion de l’homme libre.
Mais qui sont ces Quatre-vingt-dix ? Les Etats généraux convoqués, un système de vote à plusieurs degrés fut mis en place pour désigner les quatre députés du Tiers État représentant la ville de Bordeaux. Les corporations, selon leur importance, désignèrent un ou deux délégués. Les bourgeois de la ville n’appartenant à aucune corporation en choisirent d’autres. De là un ensemble de 240 délégués, qui nommèrent ces 90 électeurs, qui eux-mêmes désignèrent les 4 députés (trois négociants et un médecin).
Le rôle des Quatre-vingt-dix aurait dû s’arrêter là. Mais à partir de juillet 1789, la France connaît une vague de révolutions municipales. A partir du 18 juillet 1789, les Quatre-vingt-dix de Bordeaux font leur « Serment du jeu de Paume » local. Ils se constituent en conseil permanent, et prennent le pouvoir au dépend des institutions de l’ancien régime: l’Intendant, les Jurats et le Parlement de Bordeaux.
En même temps que les Quatre-vingt-dix, une garde patriotique chargée de préserver l’ordre public est mise en place. Tout cela se fit dans un calme relatif. L’année 1789 ne fut pas violente à Bordeaux. On y suivit de près les évènements nationaux dans le calme, par exemple ces appels au don. L’exemple du don de boucle de ceinture fut suivi par les Quatre-vingt-dix, dans l’esprit du temps qui tendait à la surenchère de démonstration de patriotisme.
En Janvier 1790, ils mettent également en place des sections, d’abord seulement électorales: Une nouvelle municipalité est élue. Ces sections se réuniront ensuite de façon permanente notamment à partir d’août 1792, sous le nouveau régime républicain (comme à Paris). Elles prennent alors des noms évocateurs: Section « Guillaume Tell », « Franklin », « de l’égalité »… Barthélémy Domecq dira plus tard avoir été actif dans sa section, qui est la section n°7 dite « Brutus ».
Brutus est à la fois le nom de Marcus Junius Brutus, un des meurtriers de Jules César qui était accusé de vouloir renverser la République romaine et devenir roi, en -44. C’est aussi le nom de Lucius Junius Brutus, qui renversa la royauté des Tarquins en -509 et devint l’un des premiers consuls de Rome. Il fit exécuter ces deux fils qui complotaient contre la République. Ces histoires plus ou moins légendaires de la Rome antique étaient très connues au XVIIIe siècle.
A Bordeaux comme à Paris, ces sections « surveillent » le pouvoir en place. A Paris, cette surveillance finira par emporter la convention girondine. En mai 1793, Vergniaud, député de Bordeaux et du parti girondin, lance un appel face aux menaces des montagnards et de la Commune de Paris: « Hommes de la Gironde levez-vous! ». Son collègue Guadet demande la suppression des autorités parisiennes et le transfert de la Convention à Bourges. Ces appels seront relayés par la municipalité de Bordeaux notamment via le maire François Saige qui menace la Convention. Mais ils sont insuffisamment suivis après l’arrestation des députés girondins le 2 juin 1793. La Convention « montagnarde » envoie à Bordeaux certains de ses membres nommés « Représentants du peuple en mission ». Ceux-ci sont d’abord mal accueillis, malgré l’aura de représentant du peuple, et doivent se réfugier quelque temps à La Réole. Les sections sont alors leur soutien à l’intérieur de Bordeaux, contre les institutions locales sympathisantes des girondins. La section Brutus ne fut pas la plus active, mais elle dépêcha des commissaires au conventionnel Ysabeau lorsqu’il se trouvait à la Réole. Elle comportait en revanche quelques partisans des girondins, mais ne fait pas partie non plus des sections qui prirent la plus grande part à l’insurrection girondine et à la mise en place de la « Commission populaire » pour résister à la Convention[56].
Le 18 septembre 1793, poussées par les représentants envoyés par la Convention, les Sections (notamment la Section Franklin) renversent la Municipalité et forment une nouvelle commission pour la remplacer. Le maire Saige est arrêté. Le 17 octobre suivant, quatre Représentants en mission rentrent dans la ville. D’après leur rapport ils sont accueillis par des sans-culottes qui leur crient « Vive la République! Vive la montagne! ». Ces conventionnels en mission, notamment Tallien et Ysabeau, sont dorénavant les vrais maîtres de Bordeaux.
La Terreur
Tallien et Ysabeau installent un tribunal révolutionnaire, nommé Commission militaire, qui siège du 23 octobre 1793 au 31 juillet 1794. Elle est chargée de juger tous ceux qui menacent la République, en état de guerre. Elle est présidée par Jean-Baptiste Lacombe, un « terroriste » tout sauf « incorruptible » (il recevait de grosses sommes pour acquitter des accusés). Il sera guillotiné à son tour après le 9 thermidor. La commission militaire aurait fait comparaître 898 prévenus, prononcer 376 acquittements et 302 condamnations à mort (la dernier étant celle de Lacombe lui-même). Parmi les prévenus, 221 personnes du monde du commerce dont 131 négociants (sur environ un millier que compte la ville)[57]. Un petit nombre d’entre eux s’étaient montrés partisans des Girondins, mais pour l’essentiel, c’est le fait même d’être négociant qui les envoie devant la Commission militaire.
Il est devenu suspect d’être riche, et dans le contexte de la guerre révolutionnaire contre une grande partie de l’Europe, on est facilement accusé d’égoïsme. Une comparaison de la fortune en 1789 et de la fortune au moment du jugement est fréquemment faite, et il est très suspect de ne pas avoir perdu suffisamment. Certains négociants sont condamnés à d’importantes amendes et certains sont guillotinés.
Cette haine des négociants est courante chez les éléments les plus radicaux des sections parisiennes qui « surveillent » la Convention. Voici ce qu’écrit Hebert dans le Père Duchesne le 1er septembre 1793:
« La patrie, foutre, les négociants n’en ont point. Tant qu’ils ont cru que la Révolution leur serait utile, ils l’ont soutenue. Mais c’était pour se mettre à la place des aristocrates. Tous ces jean-foutre nous ont tourné casaque et ils emploient le vert et le sec[58] pour détruire la République. Ils ont accaparé toutes les subsistances pour les revendre au poids de l’or ou pour nous amener la disette. »[59]
Sous l’influence des « exagérés » comme Hébert, la Convention vota plusieurs lois pour réguler le commerce des biens de première nécessité. Il y eu notamment le décret contre les accapareurs du 26 juillet 1793: l’accaparement devint un crime capital, pour tout commerçant qui ne ferait pas la déclaration et l’affichage de ses stocks de denrées de première nécessité. Puis la loi du Maximum général du 29 septembre 1793 fixa des maxima pour une série de produits (notamment denrées alimentaires, combustibles, bois, métaux…) et l’associa à un blocage des salaires.
Cette législation est inspirée par le souvenir des disettes (notamment celle de 1789) aggravées par le fait que des gros négociants en situation d’oligopole gardaient leur stock de grains et ne vendaient que petit à petit pour ne pas faire baisser les prix. Mais à Bordeaux comme ailleurs, l’application de la loi est difficile. Elle génère des abus, mais aussi des fraudes et des ruines.
Tallien et Ysabeau prennent alors des mesures aussi surprenantes qu’énergiques, par un arrêté du 7 janvier 1794:
« Les représentants du peuple en mission à Bordeaux, instruits que plusieurs négociants viennent de déposer leur […] bilan arrêtent ce qui suit: ceux qui ont remis ou remettront leur bilan seront arrêtés de suite pour être interrogés par le Comité de surveillance et traduits, s’il y a lieu, à la Commission militaire. »
Tallien, envoyant cet arrêté à la Convention, écrit: « depuis notre arrêté presque tous les bilans déposés ont été retirés, et l’on entend plus parler de faillite. »[60]
C’est dans ce contexte que le nom de Barthélémy Domecq est cité à la Convention lors d’une séance du 4 mars 1794. Bertrand Barère, au nom du Comité de Salut public, présente une mise à jour du tableau du maximum. Il s’oppose à ce que le bénéfice maximum de 5 pour 100 des marchands en gros soit réduit à 2 pour 100:
« Barère: ce que nous voulons faire, c’est de guérir le commerce qui est usuraire, monarchique et contre-révolutionnaire, mais pour cela il faut le saigner, non le tuer. (on applaudit)
Barère: Je présente une offrande civique d’un négociant de Bordeaux. Il est bon de faire remarquer les dons faits par des hommes attachés aux bénéfices du commerce. — Voici l’extrait de la lettre du citoyen Domecq:
“J’offre à la Convention la somme de 1 200 livres pour servir aux frais de l’extraction du salpêtre, et je serai bien aise que mon offrande soit insérée au Bulletin, pour exciter l’émulation de tous les bons citoyens à concourir à ce travail et à récompenser les braves sans-culottes qui s’en occuperont. J’ai déjà offert 200 livres à la société populaire de cette ville pour le même objet. Le moment est venu où il faut nous serrer tous autour de l’arbre de la liberté pour le défendre contre toutes ces puissances orgueilleuses qui le menacent, et ça ira en dépit des aristocrates, des fanatiques, des fédéralistes, et de toute cette engeance perverse qui voudrait anéantir les droits de l’homme. Signé Domecq père, négociant commissionnaire à Bordeaux”
La convention décrète la mention honorable au procès verbal et l’insertion au bulletin ».[61]
Barère fut celui qui fit voter par la convention la création du Comité de Salut public fin mars 1793. Il est le seul à être membre du Comité dominé par Danton (jusqu’au 10 juillet 1793), et du Comité dominé par Robespierre (jusqu’à sa chute en juillet 1794). Il ne quitte le Comité que le 1er septembre 1794, et ne sera mis en accusation que l’année suivante.
Barère était originaire de Tarbes, il a vécu à Toulouse et à Bordeaux. Ce parcours est le même que celui de Barthélémy Domecq, il est donc possible qu’ils se connaissaient personnellement. C’est d’autant plus possible que Barère connaissait des négociants bordelais. En effet pendant le directoire, alors qu’il est recherché, Barère se réfugie à Bordeaux chez un négociant nommé Jacques Fonade. Il est vrai aussi que le parrain de Barthélémy Domecq s’appelait Barthélémy Barrère, mais le lien de parenté n’est pas établi, et il ne s’agit peut-être que d’une homonymie.
Pendant la Terreur, « Un langage radical, véritable code, est requis sous peine d’être suspect. »[62] Cette lettre de Barthélémy lue le 7 mars 1794 devant la Convention, a tout pour plaire au pouvoir en quelques mots:
- Les besoins militaires étant très importants, on cherche par tout moyen à trouver du salpêtre, nécessaire à la fabrication de poudre noire. Pour en trouver on réquisitionne les terres qui en contiennent en bas des murs, en particulier ceux des « ci-devant églises ». Il faut financer ce travail d’extraction et de lessivage et les dons sont bienvenus.
- Il est fait l’éloge des « braves sans culottes », les citoyens idéalisés par le pouvoir dans les années 1792-1794. Par ailleurs sont dénoncés les « aristocrates, les fanatiques, les fédéralistes ».
- Les aristocrates sont évidemment suspects en pleine Terreur.
- Le terme de « fanatique » était surtout utilisé pour désigner les zélateurs d’une religion, donc par exemple dans le contexte, les prêtres insermentés et les catholiques contre-révolutionnaires (voire tous les chrétiens, adeptes de « l’ancienne superstition »). Les fanatiques pourraient aussi, mais c’est beaucoup moins probable, être les « exagérés », ou hébertistes, avec qui le Comité de Salut public est en conflit (et en particulier Barère). Ces principaux chefs du club des Cordeliers (Hébert, Ronsin, Vincent) seront arrêtés le 13 mars 1794 puis guillotinés.
- Quant aux fédéralistes, il s’agit des girondins. Ils sont vaincus à Paris depuis l’envahissement de la Convention par la garde nationale conduite par la commune, le 2 juin 1793; et leurs principaux chefs sont guillotinés le 21 octobre 1793. A Bordeaux, le décret du 6 aout 1793 les déclarant « traitres à la patrie » est appliqué après l’entrée des représentants en mission. Ils sont vaincus, mais ils sont encore pourchassés jusqu’après thermidor: Nicolas de Condorcet est arrêté le 25 mars 1794 après 9 mois de cache. Elie Guadet est guillotiné à Bordeaux le 20 juin 1794. Lorsqu’on habite Bordeaux qui a résisté plusieurs mois à la Convention, considérée comme un foyer de fédéralisme au point que le nom de girondins a plus tard été donné à ce « parti », il est de bon ton de les condamner.
- Les droits de l’homme dont il est question ne sont probablement pas ceux de la déclaration de 1789, mais sont ceux de 1793 rédigés en introduction de la Constitution de l’an I (régime d’assemblée qui ressemble au régime suisse actuel). Cette version de 1793 mettait l’égalité avant la liberté, mais était plus précise que celle de 1789 sur la liberté du commerce et de l’industrie et le droit de propriété. Elle n’a jamais été appliquée (elle est alors suspendue provisoirement). Cependant tous les citoyens sont invités à prêter serment sur l’acte constitutionnel et la déclaration des droits de l’homme. Et les marins qui débarquent à Bordeaux après avoir été hors du pays sont invités à promettre « de les maintenir de toutes leurs forces ou de mourir en les défendant »[63].
- L’arbre de la liberté, symbole planté par les révolutionnaires, doit être protégé et il faut « se serrer » autour de lui, cela explique que la liberté soit provisoirement suspendue car elle doit être défendue. C’est la justification de la suspension de la constitution le 10 août 1793; il est décidé que le gouvernement serait révolutionnaire jusqu’à la paix.
- La société populaire – le singulier est à noter – dont il est question a probablement été, avec sa section, le lieu dans lequel Barthélémy s’est fait connaître.
Langage radical certes, il faut noter cependant l’absence de violence dans la lettre de Barthélémy Domecq, nul appel aux armes ni glorification de la guillotine. Néanmoins, dans le contexte de terreur qui frappe les négociants, cette lettre apparaît trop proche des attentes du pouvoir pour qu’on ne soit pas perplexe quant à sa sincérité.
A Bordeaux, les commissaires, représentants du peuple en mission, furent surveillés puis remplacés à partir du 18 mai 1794 par un jeune homme d’à peine 19 ans qui n’était pas conventionnel: Marc-Antoine Jullien. Cet ami de Robespierre est envoyé spécial du Comité de salut public. Il demande au Comité d’éloigner les commissaires. Tallien[64] et Ysabeau, adversaires de Robespierre, furent rappelés à Paris. La correspondance de Jullien avec Robespierre et Saint-Just montre ce que pouvait être l’idéologie jacobine, et le regard d’un jeune Montagnard sur Bordeaux. Il est scandalisé par les attitudes envers Tallien et Ysabeau, et par ce qu’ils laissent faire:
« Un grand reproche que j’ai à faire aux Bordelais, c’est qu’ils traitent le représentant du peuple comme un intendant de l’ancien régime. Passe-t-il dans les rues… on se découvre.. on applaudit… J’ai remarqué que c’étaient les aristocrates eux-mêmes qui, croyant se donner un air de patriotisme, indiquaient souvent au peuple les battemens de main qui déshonorent à mes yeux des hommes libres. On n’applaudit jamais à la seule présence d’un homme, mais quand il parle, aux principes qu’il exprime. »[65]
Il déteste les négociants. Les députés du département de la Gironde à la Convention étaient presque tous soit négociant, soit homme de lois. Jullien craint ces « hommes à barreau » et ces « hommes à argent ». Sous sa plume, le terme de négociant semble être quasiment synonyme de fédéraliste, ou en tout cas d’ennemi de la Révolution. Voici comment il raconte les débuts de la République à Bordeaux :
« Bordeaux est un foyer de négociantisme et d’égoïsme; là où il y avait beaucoup de gros commerçants, il y avait beaucoup de fripons, et la liberté n’y pouvait guère établir son empire, dont la vertu est la base; là où il y avait beaucoup de riches, le pauvre était pressuré par eux, et l’égalité ne pouvait de longtemps être connue; là où n’était que la soif de l’or, on ne pouvait guère affermir dans les coeurs l’amour de la patrie…
Arriva bientôt la crise fédéraliste; les hommes à barreau, dont les hommes à argent avaient mis le talent et l’influence à contribution, et qui s’étaient tous coalisés pour supplanter leurs défunts parlemens et la noblesse, voulurent déchirer une république dont les principes naissans effrayaient leurs vues ambitieuses; ils cherchèrent à former plusieurs principautés départementales qu’ils se partageaient d’avance entre eux, et dont il croyaient devoir être les heureux et paisibles possesseurs. Mais l’égalité voulait tout abaisser sous son niveau, et les fédéralistes, ou les sectateurs de la tyrannie virent s’éteindre leurs espérances. Aussi lâches qu’insolens et orgueilleux, d’abord ils entourèrent la représentation nationale, et parurent donner au peuple le signal et l’exemple des hommages à lui rendre.
Ysabeau eut le malheur de se laisser approcher par des négocians; ils lui dirent qu’il était un grand homme, et il le crut. »[66]
Officier municipal
Le 9 juillet 1794 (9 messidor II), Jullien épure la municipalité et la remplace par de nouveaux membres. Le Conseil est composé d’un maire, des officiers municipaux (sorte d’adjoints qui composent le bureau municipal), et des notables. Barthélémy Domecq est nommé officier municipal. Le maire, Pierre Thomas, est un pasteur.
Que pensait Barthélémy Domecq, négociant relativement prospère en 1789, lorsque Garnier, le nouveau représentant envoyé par la Convention, fit son premier discours à Bordeaux devant le club national le 11 juillet 1794 ? En voici un extrait :
« Les négociants sont encore plus froids que l’or qu’ils manient; ils voient sans s’émouvoir les larmes du peuple; malheur à eux ! Le commerce a perdu Tyr et Carthage! Tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, je le crois incompatible avec la liberté. Qu’on imagine pas que je veuille l’anéantir; il peut être utile à la République, mais il doit être fondé sur la probité et l’intérêt général. La Convention le sait, elle s’en occupera. »[67]
Comme le montre l’allusion à Tyr et Carthage, l’anticapitalisme des Jacobins tient parfois d’avantage de la culture antique apprise dans les collèges que des penseurs du temps (Necker, Smith) ou a fortiori des formes ultérieures d’idéologie communiste. On méprise les marchands et les usuriers comme les publicains et les manieurs d’argent dans la littérature des élites romaines (Cicéron, Caton). Cicéron serait d’ailleurs plus souvent cité que Rousseau dans les discours des Révolutionnaires[68]. Cette base culturelle est un grand réservoir d’histoires édifiantes.
Le conseil de la Commune (appelé Conseil Général) dont fait partie Barthélémy Domecq se montre aux ordres de Jullien:
« 11 thermidor. Envoi d’une délégation chez le citoyen Jullien, afin de lui témoigner la reconnaissance dont le Conseil est pénétré pour les travaux utiles et avantageux qu’il a faits dans cette commune, et l’inviter de vouloir entretenir une correspondance avec le Conseil autant que ses grandes occupations pourront le lui permettre. »[69]
Mais à la chute des robespierristes, dès que les évènements du 9 thermidor sont connus à Bordeaux, la municipalité s’empresse de féliciter les thermidoriens:
« Adresse de la Municipalité à la Convention nationale.
Citoyens Législateurs,
La commune de Bordeaux reçoit dans cet instant la nouvelle de l’étonnante et précieuse révolution qui vient encore de s’opérer dans votre sein, et il serait difficile de vous peindre l’enthousiasme, l’énergie et la reconnaissance de nos concitoyens en apprenant vos efforts généreux contre les nouveaux tyrans et votre résolution sublime de sauver la Liberté ou de vous ensevelir avec elle. Citoyens législateurs, le peuple de Bordeaux, guidé par son respect pour les loix, par son amour ardent pour la Liberté, par sa haine profonde contre les tyrans, sous quelque nom qu’ils cachent leurs projets criminels, toujours guidé par la confiance la plus entière dans la Convention nationale, se félicite de venir le premier déposer dans votre sein les témoignages expressifs de sa joie et de sa reconnoissance; et, dans celte circonstance, la Municipalité se trouve doublement heureuse d’être l’organe de ses concitoyens et de transmettre l’expression de leurs sentiments à des hommes sévères et courageux qui, pour sauver le dépôt précieux qui leur est confié, ne balancent pas à se dévouer en faisant au crime une guerre à mort.
Vive la République! Vive la Représentation nationale ! »[70]
Ça ne doit pas surprendre. Ce genre de lettre des institutions locales pour féliciter le pouvoir en place est tout à fait banal (et cela continuera longtemps). Jullien avait, après tout, raison de rapprocher les servilités envers les Intendants royaux et envers les Conventionnels. Malgré des velléités décentralisatrices en 1789 avec les révolutions municipales[71], la France est resté un pays centralisé en devenant une République une et indivisible, montrant en cela une grande continuité avec la monarchie absolue comme les analyses de Tocqueville l’ont soulignée.
Et surtout les membres de la municipalité nommée le 9 juillet 1794 avaient des raisons d’avoir peur. La municipalité ne tenait sa légitimité que de Jullien, qui ne la tenait que du Comité de Salut public et de Robespierre (il disposait alors d’un arrêté du Comité du Salut Public lui donnant plein pouvoir pour épurer la municipalité). Le représentant Garnier aussi avait peur: avant même d’être remplacé par Ysabeau et dans l’espoir de se sauver lui-même, Garnier fit arrêter Lacombe et les membres de la Commission militaire dès qu’il connut les évènements parisiens. Lors de la séance qui suit la connaissance de la chute de Robespierre, Domecq est là, mais certains membres du conseil de la municipalité manquent à l’appel, et le Conseil Général délibère que « les noms des membres qui ont manqué d’assister à la séance seront inscrits au procès verbal et qu’ils soient tenus à la prochaine séance de dire les causes qui les ont empêchés de s’y trouver »[72]. Les institutions bordelaises avaient pris acte du changement. Sur proposition de Tallien, dès le 15 Thermidor (2 août) le Comité de Salut public ordonne à Ysabeau de retourner à Bordeaux. Une fois de retour, il ne manque pas de faire remarquer à la municipalité l’illégalité qui selon lui frappe la nomination de ses membres. Mais il croit bon de ne pas opérer de changement et rassure les membres de la municipalité soucieux de leur sort.
« Il observe que les changements opérés par Jullien ne pouvant recevoir aucun caractère légal, attendu que les Représentans du peuple seuls peuvent, en vertu des pouvoirs qu’il leur a confiés, faire les changements nécessaires dans les autorités constituées, il résulte de ce principe que les opérations de la municipalité de Bordeaux se trouvent frappées de nullité; que cependant, malgré l’illégalité de sa nomination, comme il ne lui est parvenu aucun fait contre le civisme des membres qui la composent, et que tout les renseignements qu’il s’est procuré constatent qu’elle est composée de bons citoyens, et voulant donner à ses opérations la légitimité qui leur manque par l’irrégularité de son organisation, il déclare approuver les mesures qu’elle a prises jusqu’à ce jour, et l’invite à continuer ses travaux jusqu’à ce qu’il aie pris une détermination ultérieure à son égard. »[73]
Ysabeau, pourtant le maître de Bordeaux depuis un an avec une courte interruption pendant laquelle Jullien et Garnier l’ont remplacé, relaie la propagande thermidorienne et dénonce le triumvirat composé de Robespierre, Saint Just et Couthon.
« La Convention nationale m’a envoyé au milieu de vous pour détruire les restes d’une faction homicide, dont son courage a délivré la France, et pour réparer les nombreuses injustices et les vexations criantes auxquelles les agents de la tyrannie se sont livrés impunément. »[74]
L’attitude face au commerce de celui qui a contribué à mettre en place le dirigisme économique à Bordeaux évolue aussi, même si le maximum n’est pas tout de suite aboli:
« Le citoyen Ysabeau invite de nouveau le Conseil à faire disparaître toutes difficultés à l’égard des passeports; il fait observer que les entraves qu’on apporterait dans leur délivrance entraineraient la cessation totale du commerce que la Convention nationale veut faire renaître par tous les moyens possibles, et qu’en son particulier ses intentions sont de lui procurer toutes les facilités afin d’en retirer tous les avantages qu’on peut en espérer pour la prospérité de cette populeuse commune et pour les ressources intéressantes qu’il peut procurer à la République. »[75]
Nous avons indiqué que Thomas, maire de Bordeaux, était pasteur. Il nous faut donc revenir sur le sujet du protestantisme, cette fois sous la Révolution. Plusieurs meneurs révolutionnaires étaient protestants. Marat et son ennemi girondin Rabaut-Saint-Etienne l’étaient tous deux. A Bordeaux, on peut citer également le député à la constituante Pierre-Paul Nairac ou le député à la législative Lafon de Ladebat (tous deux négociants). Il y avait des protestants dans tous les camps. Il est vrai que certains ont pu défendre leurs coreligionnaires, tel Boissy d’Anglas, ou Rabaut-Saint-Etienne qui était pasteur et participa à la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 en défendant une version plus radicale de la liberté religieuse dans l’article 10 (« Tout citoyen a le droit de professer librement son culte, et nul ne peut être inquiété à cause de sa religion. »[76]) que celle qui fut finalement retenue: « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. » (Cette version plus modérée a permis l’émergence de la laïcité à la française cent ans plus tard). Malgré cette défense de la liberté religieuse, il est néanmoins clair qu’il n’y avait pas de parti protestant.
Il en est de même des négociants. On en trouve dans tous les partis. Il y a même des négociants dans la première liste de 125 terroristes établie l’année suivante sur la demande de la municipalité[77] et 11 négociants (Barthélémy Domecq n’y figure pas) parmi une liste de 461 « buveurs de sang » complices de Lacombe constituée en 1802 dans un livre rouge cité par Philippe Gardey. Comme il l’écrit « Les milieux du commerce… ne présentent pas d’unité dans leur attitude face à la Révolution. Les convictions personnelles l’emportent sur les déterminismes sociologiques. Il n’y a que dans l’idéologie jacobine que les marchands et négociants forment une classe homogène de “riches sybarites”. »[78]
Barthélémy Domecq restera officier municipal pendant un peu plus de quatre mois, du 9 juillet 1794 (21 messidor II) au 30 octobre 1794 (9 brumaire III). Entre ces deux dates, celle du 2 août (15 thermidor) marque un tournant quand les évènements de Paris sont connus.
Les archives de la Municipalité concernant la période où siège Barthélémy Domecq permettent d’entrevoir des actions plus ou moins anecdotiques voire cocasses. Il est par exemple question de combats d’animaux, de jours fériés, de distribution de nourriture, de savon ou – encore – de salpêtre.
« 1″ fructidor. Le Conseil, considérant que le spectacle odieux des combats d’animaux doit être proscrit chez un peuple libre, juste et ami de l’humanité, et ne doit dans aucun tems être un objet d’amusement pour des Français républicains… [a délibéré] Que les citoyens Fulchic et Gaubric, commissaires nommés à cet effet, demeurent autorisés à faire détruire les vingt-six chiens, trois ours et deux loups formant l’atelier Carnivore dont Fleurichaud est conducteur. »[79]
« 25 messidor. Mention d’une pétition dans laquelle les raffineurs exposent que leurs ouvriers, indépendamment du repos légal dont jouissent les jours de décadi tous les citoyens français, se permettent en outre de ne pas travailler les jours des fêtes et dimanches de l’ancien régime, et que ces abus deviennent très préjudiciables aux chefs des raffineries qui demandent, en conséquence, qu’il soit pris par le Conseil des mesures répressives des prétentions de ces ouvriers. »[80]
15 fructidor. Délibération relative à la distribution de quatre-vingt-dix quintaux de morue appartenant à un capitaine de Boston.[81]
20 fructidor. «Vu la pétition du citoyen Olive, tendant à obtenir une invitation pour les municipalités des communes où il se propose d’achetter divers objets propres à la fabrication du savon, afin d’être favorisé dans lesdits achats, le Conseil général de la Commune a délibéré, … qu’attendu la pénurie où est la commune de Bordeaux du savon qui lui serait nécessaire, attendu la déclaration faite par le pétitionnaire d’être exact à distribuer à Bordeaux le savon qu’il pourra fabriquer avec la soude qu’il attend de Narbonne, il est instant de protéger le citoyen pétitionnaire et qu’en conséquence les autorités seront invitées à favoriser le transport desdites marchandises.
— les citoyens Lartigue et Larroque, envoyés à Paris “pour s’instruire dans l’art de fabriquer le salpêtre”, étant de retour à Bordeaux, sont désignés l’un, en qualité de chef de l’atelier révolutionnaire de la fabrication du salpêtre, et l’autre pour la charge du lessivage des terres des ci-devant églises, les eaux provenantes de ce lessivage devant être travaillées audit attelier ».[82]
Mais attention: ces archives ont été mal tenues et de nombreux documents, peut-être plus importants, ont été perdus ou dérobés[83]. Il n’en reste pas moins que même après thermidor, ce sont toujours les représentants en mission qui exercent l’essentiel du pouvoir, et prennent les décisions les plus importantes (Ysabeau restera jusqu’en novembre 1794). Ils sont responsables de « la sûreté générale et du salut public. » Les membres de la municipalité ne semblent être que des exécutants.
Les décisions n’étaient tout de même pas seulement anecdotiques, la municipalité prenait des décisions individuelles importantes : elle délibérait notamment de la délivrance des certificats de civisme à ceux qui en demandaient. Ces certificats de civisme étaient indispensables à ceux qui travaillaient pour ou avec les pouvoirs publics. Ils donnaient à leur possesseur une assurance raisonnable de ne pas être inquiétés. En pratique, la réponse était le plus souvent positive; on peut supposer que ceux qui les demandaient étaient presque sûrs de les obtenir. Un individu ayant des raisons de penser qu’il pouvait être « suspect » avait probablement plutôt intérêt à ne pas attirer l’attention sur lui.
Cette activité de délivrance est très importante avant le retour d’Ysabeau: l’agent national propose le 7 thermidor « une séance extraordinaire depuis huit heures du matin jusqu’à la nuit, uniquement destiné au scrutin pour la délivrance des certificats de civisme ».[84] Cette activité se réduit par la suite mais reste une des prérogatives importantes du Conseil.
Barthélémy Domecq, en l’absence du maire, préside la séance du conseil le 3e sans-culottides an II (19 septembre 1794)[85].
Le président Domecq fait prêter serment à deux ci-devant religieuses, après autorisation d’Ysabeau:
« …Ensemble la déclaration faite par les pétitionnaires au Bureau de police administrative de la Commune laquelle il résulte que l’ignorance seule des dispositions de la loi du 9 nivôse les a empêchées de s’y conformer, et dès qu’elles furent informées de l’expiration du délai fixé par ladite loi pour la prestation du serment prescrit aux ci-devant Religieuses, elles se présentèrent pour y offrir de prêter le dit Serment.
Le Conseil Général, ouï le substitut de l’agent national a délibéré que les citoyennes Courtin et Rigaut, en vertu de l’autorisation du Représentant du peuple, seront admises à prêter le dit serment,. En conséquence le président leur en ayant individuellement prononcé la formule, elles ont levé la main droite et dit à haute voix Je le jure. »
Nombreux furent les serments exigés sous la Révolution, pour ceux qui pouvaient être suspects comme pour les simples citoyens. Le décret du 13 février 1790 supprima les congrégations à vœux solennel, en accordant une conservation provisoire pour les ordres enseignants et hospitaliers. Puis en 1792, les congrégations séculières furent également évacuées et les religieuses furent rendues à la vie civile. Les religieuses n’étaient pas concernées par le serment à la constitution civile du clergé imposé aux prêtres à partir du 27 novembre 1790. Lors de la proclamation de la République, on imposa le serment « Égalité Liberté » du 14 août 1792 à tous les pensionnaires ou fonctionnaires publics. En 1794, on l’exigea des religieuses enseignantes et hospitalières[86]. Le texte était : « Je jure d’être fidèle à la nation et de maintenir la liberté et l’égalité ou de mourir en les défendant. » Il ne fut jamais condamné par le pape.
Lors de cette séance présidée par Domecq, il est également question de l’adoption d’une orpheline de l’hospice des enfants de la patrie et de la destruction de baraques au milieu d’une place.
Barthélémy a cependant une mauvaise santé. Par délibération du Conseil, il a la permission de prendre congé et de s’absenter le 13 vendémiaire (4 octobre 1794)[87]. Il revient siéger le 19 vendémiaire. Mais il finit par démissionner le 9 brumaire III (31 octobre 1794), ou plutôt obtenir l’autorisation du représentant Ysabeau de se retirer, à l’appui d’un certificat d’un officier de santé.
Avant de partir, Ysabeau « épure » (le terme est de lui) tous les conseils et tribunaux dans un arrêté du 16 brumaire III (6 novembre 1794), soit une semaine après la démission de Barthélémy Domecq.
« Le représentant du peuple Ysabeau s’étant rendu à la séance du Conseil pour procéder à l’installation[des] membres qui doivent le composer, en conformité de [son] arrêté du seize courant, a prononcé à cette occasion un discours analogue à la circonstance, dans lequel il a retracé le malheur des citoyens sous la domination atroce du triumvirat qui, trop longtems, accabla la vertu par la terreur, et dont la tyrannie fut heureusement anéantie par la Convention nationale dans les mémorables journées des neuf et dix thermidor, qui ont rétabli le règne des lois [et] de la justice sur les ruines de l’arbitraire le plus révoltant; »[88]
Un certain esprit de concorde thermidorien continue néanmoins, et Ysabeau rajoute, faisant notamment allusion à Barthélémy Domecq:
« Plusieurs des citoyens qui composaient les Administrations précédentes, ou les Tribunaux, ayant demandé leur démission au Représentant du peuple, pour des raisons qu’il a jugé valables, et les déplacés ne l’étant pas pour cause d’incivisme, aucun des sus-mentionnés ne pourra être réputé comme suspect, ni traité comme tel. »
C’est la fin de la « carrière » politique de Barthélémy Domecq. Au vu de ces éléments, ses opinions politiques peuvent sembler claires. Mais mises en contexte, elles le sont beaucoup moins. Elles ont pu varier; il faut bien mesurer l’ampleur et la rapidité des changements de contexte politique entre 1789 et 1794. Être d’un parti ou d’une opinion sur un sujet peut ne plus rien signifier quelques années plus tard. Et plus que les opinions, la peur ou l’intérêt plus ou moins bien compris peuvent motiver les engagements. Barthélémy Domecq s’est élevé socialement et a réussi sa carrière de négociant, mais il est resté un négociant moyen. Cela ne suffit évidemment pas pour en conclure qu’une volonté de revanche sociale l’aurait poussé à ne pas soutenir les grands négociants girondins.
Il est certainement un fervent révolutionnaire en 1789. Il est encore fervent républicain à partir de 1792, et il est montagnard et non girondin à partir de 1793. Il serait absurde de le classer plus précisément dans une sous-catégorie de parti ou de « chapelle » politique.
Réclamation contre l’emprunt forcé
Un dernier document permet de situer le niveau de fortune de Barthélémy Domecq. Il s’agit de sa réclamation du 21 mars 1796 contre l’emprunt forcé de l’an IV[89]. Ces emprunts (en réalité presque des impôts) sont les premiers à être directement liés à la fortune des individus. Barthélémy Domecq conteste son niveau d’imposition dans une lettre qu’il joint à un tableau de sa situation financière et à un certificat de voisins et amis:
« Liberté, égalité. Aux citoyens administrateurs composant le Directoire du Département de la gironde à Bordeaux.
Citoyens administrateurs
Bmy Domecq père et fils négociants rue du chay des farines n°30 vous exposent qu’ayant été imposé dans la première répartition de l’emprunt forcé à une somme de cent vingt mille livres en assignats, ils s’empressèrent d’en faire la remise dans la caisse du Receveur, quoiqu’ils eussent des raisons légitimes pour réclamer une modération que beaucoup d’autres citoyens ont obtenus; se flattant que cet acte de patriotisme leur tiendrait lieu de tout autre supplément relatif à cet emprunt.
Cependant, citoyens administrateurs, les exposants viennent d’être instruits qu’on les a encore imposés dans la seconde répartition pour une somme majeure, ce qui ne peut provenir que d’une estimation erronée sur leur fortune actuelle. Les exposants en rendant Justice à la pureté de vos intentions et à votre zèle pour la chose publique, tout persuadé d’avance que vous vous empresserez de rectifier une erreur à la vue du tableau ci joint de leurs moyens en 1789 et ceux qu’ils ont aujourd’hui, ce qui vous convaincra que les rapports qu’on vous a faits sur l’état actuel de leur fortune présumé, ne sont pas d’accord avec la réalité. Vous n’en serez pas surpris, citoyens administrateurs, en considérans les causes qui ont occasionné les pertes que nous avons éprouvées dans diverses circonstances pendant le cours de la révolution.
1° Celle du maximum qui nous enleva une somme considérable
2° Le départ de Domecq fils pour les armées de la République, où il a resté 3 ans sans être sujet à aucune réquisition
3° Celui de tous les commis de la maison [partis?] pour l’armée et ses comités
4° Domecq père resté seul à l’âge de 65 ans et néanmoins s’étant rendu utile soit dans sa section, soit dans toutes les circonstances où il a donné des preuves d’un patriotisme constant et fait tous les sacrifices pécuniaires dans l’occasion.
Tous ces faits, citoyens administrateurs, sont à votre connaissance, et les exposants se flattant que depuis 25 ans qu’ils ont établi leur maison de commerce, dans cette intéressante commune, il y ont travaillé de manière à mériter l’estime des bons citoyens, aussi vous rendent-ils la Justice de croire qu’on n’a pas eu l’idée de les assimiler à ces faiseurs d’affaires, qui dans le cours de la Révolution ont fait des fortunes scandaleuses.
Par ces considérations et autres que nous supprimons pour ne pas abuser de vos momens, les exposants attendent avec confiance que d’après l’Etat actuel de leurs moyens, la première taxe de cent vingt mille livres, a été portée même au delà de ce que la loy exigeait et qu’en conséquence vous annullerés les suppléments auxquels ils pourraient avoir été comprise.
Citoyens Administrateurs, dans un gouvernement libre les individus qui le composent doivent sans doute concourir aux besoins de la chose publique, mais relativement à leur fortune. Celle des exposants n’a été dans aucune tems que médiocre, la révolution l’a encore réduite de près de moitié, et cette moitié est aujourd’hui d’une nature non disponible par l’impossibilité de la réaliser, eu égard aux circonstances critiques dans lesquelles nous nous trouvons tous engagés, et à la nature de nos moyens.
Bmy Domecq père et fils »
« Tableau de la situation de Bmy Domecq pere et fils négociant à Bordeaux en 1789, c’est à dire avant la Révolution
à cette époque nous possédions notre maison d’habitation rue du chay des farines, et un petit domaine dans la commune de Bégle et ces deux immeubles joints aux marchandises billets en portefeuille ou débiteurs par compte courant s’élevaient à une somme de cent cinquante mille livres valeur métallique 150 000
sur laquelle somme nous devions par nos billet par comptes courants aux environs de vingt six mille livres 26 000
partant notre avoir avant la Révolution était de 124 000
Situation actuelle en 1796 (vieux style) en l’an 4eme de la République au premier Germinal
Notre maison d’habitation rue du chay des farines que nous ne pourrions réaliser aujourd’hui au delà de vingt mille livres en numéraire et que nous portons à trente mille 30 000
Une autre maison rue Bouquiere que nous portons également à pareille somme de 30 000
une partie du domaine appelé Laferrade acquis de la nation ayant appartenu aux ci devant [Jésuites?] et abandonné à de mauvais fermiers, depuis plus de trente ans par conséquen ruiné et ne produisant aucun revenu quand à présent, cependant nous le portons à une valeur numéraire de vingt mille livres 20 000
Plus une mauvaise métairie acquise de la nation provenant de [?] prêtre émigré également abandonné depuis longtemps à des fermiers bouchers pour la pacage des bestiaux et que nous portons à 15 000
Les marchandises ou débiteurs par billets et comptes courants ou assignats au cours s’élevant valeur numéraire à vingt mille livres cy 20 000
Suivant le détail en l’autre part les objets y énoncés et portés à un taux au delà de ce qu’on pouvait les réaliser aujourd’hui s’élèvent à une somme de cent quinze mille livres cy 115 000
à déduire
que nous devons à divers créanciers amériquains pour solde de diverses consignations antérieures à la révolution, valeur métallique cy 18500
à nos correspondants d’Amsterdam et Rotterdam en numéraire dont nous payons les intérêts en attendant que les changes deviennent plus favorables et que nous estimons en livres tournois 15000
à divers créanciers de la République par courants valeur de 1790 environ quatorze mille six cent livres 14 600
Total 48 100
Partant notre avoir, sauf encore les évenemens à courir sur quelques uns de nos débiteurs, se trouve réduit à soixante six mille neuf cent livres en valeur métallique
66 900
Résultat
Notre capital avant la Révolution était de L 124,000
celui d’aujourd’hui s’élève qu’à 66,900
Différence 57 100
Cette différence provient de pertes éprouvées par le maximum, les faillites les dépenses indispensables d’une famille pendant 6 ans et les sacrifices que nous avons faits pour la patrie.
Bordeaux le 1er germinal l’an 4e de la République une & indivisible
Bmy Domecq pere et fils »
Est-ce vraiment la baisse du niveau de fortune ou le patriotisme de Barthélémy et de Clément qui ont convaincu le jury ? Les montants devaient être à peu près sincères, légèrement sous-évalués en 1796 comme on peut si attendre: dix ans plus tard, sur le contrat de mariage de Catherine, la valeur des biens mobiliers de Barthélémy Domecq à sa mort en 1797 sera évaluée à 45.000 livres. On ne connaît pas le montant d’imposition initiale, mais celui-ci fut réduit à 2.000 livres.
Les chiffres étudiés par Philippe Gardey permettent de situer approximativement la fortune de Barthélémy Domecq parmi celle des négociants[90]. On compte environ 800 sociétés de négoces à Bordeaux au début de la Révolution, donc environ 1100 individus. Avant la guerre maritime (1792), la fortune médiane est de 150.000 livres, un peu en dessous de la fortune des Domecq en 1789 (124.000), qu’ils avaient peut être intérêt à légèrement surestimer pour faire valoir leurs pertes. Si dans les années qui suivent, beaucoup de sociétés ont périclité, d’autres ont prospéré. La situation des Domecq en 1796 (66.900 livres) les placerait donc parmi les petits négociants. On peut remarquer que le capital circulant en 1796 (20.000 en marchandises ou débiteurs par billets) est d’une proportion importante par rapport au capital total. Malgré l’âge du père, la société continue donc probablement d’être active depuis le retour de Clément.
Celui qui voulait défendre les droits de l’homme dans sa lettre à la Convention ne manque pas d’y faire référence dans la conclusion de sa lettre aux administrateurs. La version de la déclaration en vigueur est celle de la constitution du 5 fructidor III (c’est à dire du Directoire). Il est fait allusion à cela : « Article 16. – Toute contribution est établie pour l’utilité générale ; elle doit être répartie entre les contribuables, en raison de leurs facultés. »[91]
La lettre répond globalement aux accusations dont ont été victimes les négociants pendant la terreur, à une importante différence près: la première cause exposée pour expliquer les pertes est le maximum. L’agiotage reste mal vu, mais le nouveau régime se flatte d’avoir rétabli la liberté du commerce. Il n’est donc pas interdit d’exposer ou de se plaindre de ses pertes.
Il y aurait sans doute beaucoup à dire à propos du comportement de quelqu’un qui fait publiquement des dons patriotiques et demande discrètement des réductions d’impôts. Cela peut prêter à sourire. Il a pourtant lu l’évangile: « Quand donc tu fais l’aumône, ne fais pas sonner de la trompette devant toi… que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta main droite. »[92] On peut être indulgent avec Barthélémy Domecq, pas à cause de la suite du sermon sur la montagne : « Ne jugez pas de peur d’être jugé », mais surtout parce que les évènements révolutionnaires sont tels que certains comportements sont difficilement compréhensibles si l’on ne prend pas en compte les émotions des acteurs. Comme l’écrit Timothy Tackett: « Pour ceux qui n’ont jamais traversé une révolution dans leur vie, il est difficile d’imaginer à quel point il s’agit là d’une expérience déconcertante, troublante et pénible. »[93]
On peut aussi penser à une opposition politique au Directoire et une fidélité aux jacobins, ou au moins une lassitude face à la tournure des évènements, qui le pousse à ne pas vouloir donner trop d’argent à la République. Enthousiasme en 1789, terreur en 1793, lassitude en 1796, c’est une manière de caricaturer les comportements sous la Révolution que l’on peut éventuellement appliquer à Barthélémy Domecq de façon simpliste faute d’autres sources nous permettant de sonder son cœur.
Mariage des enfants
Outre ses propriétés dont il est question dans la réclamation, avant la Révolution la société Barthélémy Domecq et fils louait un domaine, la « maison noble Seignans » dans l’Entre-deux-mers, appartenant aux religieux des Feuillants pour 5700 livres[94] (somme importante). La Révolution provoque un grand chambardement dans les propriétés: beaucoup de biens affermés sont vendus comme biens nationaux. Les Domecq achètent le domaine de La Ferrade, à Bègles, le 22 avril 1793. On peut imaginer qu’il remplit les mêmes fonctions que « Seignans » avant la Révolution et que le domaine de Coulommiers à l’époque où ils résidaient à Toulouse: production agricole (vinicole ou maraîchère) qui peut ensuite être vendue sans intermédiaire, et agrément d’une maison de campagne. C’est là que Barthélémy Domecq décède le 12 fructidor an V (29 août 1797).
Avant cela, il aura le temps de régler la question du mariage de deux de ses enfants. Ils se marient le même jour, le 26 brumaire an V (16 novembre 1796). Clément Domecq, son seul fils parvenu à l’âge adulte, est revenu de son engagement dans l’armée révolutionnaire. Engagé volontaire dès mars 1792, il serait revenu, malade, en décembre 1795[95]. Il épouse Geneviève Lafon, fille de l’ancien procureur Guillaume Lafon (décédé lors du mariage). Les procureurs sous l’Ancien Régime étaient les ancêtres des avoués. Ils n’étaient pas chargés de plaider en défense de leur client, mais de les représenter. Les charges des avoués ont été rachetées et cette profession a été fusionnée avec celle d’avocat en 2012[96]. Le terme de procureur est aujourd’hui utilisée pour « procureur de la République » successeur du « procureur du roi », qui défend la société et l’Etat.
Les gens de lois peuvent se mêler aux gens du commerce, mais la mère de Geneviève est d’un milieu encore plus familier aux Domecq: Marie-Jeanne Boccalin est d’une famille de négociants bayonnais installés à St Domingue. On a dans le contrat de mariage la confirmation de la société établie entre le père et le fils: « Barthélémy Domecq père déclare confirmer autant que de besoin l’acte de société passé sous seing privé passé entre lui et son fils futur époux le premier mai mil sept cent quatre vingt huit vieux style, ainsi que tout ce qui a pu subséquemment se rapporter à cette association sous le nom collectif de Domecq père et fils… » (suit la liste des biens: une maison à Bordeaux et le domaine de Bègles.)
On ne sait si depuis le retour des armées de Clément, Barthélémy Domecq s’est progressivement retiré des affaires du négoce. Mais à 68 ans, il ne manifeste pas l’intention de se retirer de la gestion des biens de la société (notamment le domaine de Bègles): « Domecq père continue la gestion et jouissance de la totalité des sus dits biens comme par le passé sans être tenu d’en rendre aucun compte au futur époux soit que la cohabitation subsiste ou non la vie durant du dit citoyen Domecq père qui s’oblige seulement dans le cas où la cohabitation viendrait à cesser à payer au futur époux une somme de quinze cent livres par année valeur fixe en monnaye métallique de six mois en six mois à raison de sept cent cinquante livres … aussi sans aucune retenue, pour tenir lieu audit futur époux soit de sa demi du revenu annuel des dits immeubles soit de la pension qu’il aurait pu réclamer sur les biens propres de ses pères et mères »[97]
Pierre-Ignace Guichon épouse Dorothée Domecq, dite Gracieuse. Au jour de leur mariage, ils habitent déjà à la même adresse, au 30 rue du chai des farines, adresse du comptoir de la famille Domecq. Ce n’est pas un cas unique chez les négociants. Pierre-Ignace Guichon était probablement commis. Il s’était embarqué pour l’île danoise de St Thomas et pour le Cap Français (aujourd’hui Cap-Haïtien) après avoir obtenu un passeport le 3 mars 1793[98]. On peut imaginer qu’il a assisté aux évènements de 1793 à St Domingue. Le 21 juin 1793 Cap Français fut incendié lors d’une guerre franco-française dans laquelle se battent républicains, royalistes, esclaves insurgés et propriétaires. Le 29 août 1793, le commissaire civil prononça l’abolition générale pour les esclaves de la province du Nord dans l’espoir de se rallier les esclaves insurgés. S’il est vraiment parvenu dans l’île, Guichon n’y resta pas longtemps. De retour à Bordeaux, il fut signataire le 8 prairial an II (27 mai 1794) de l’acte de mariage de Jeanne Domecq, la nièce de Barthélémy, avec Louis Julien Labottière. Deux ans et demi avant leur mariage, les futurs époux signent cet acte l’un au-dessus de l’autre.
Guichon est fils et petits-fils de marchand de Pontacq, commune voisine de Barzun. Sa famille vend notamment des capes. C’est donc le fils de connaissances de Barthélémy Domecq, avec lesquels il a probablement été en relation d’affaires. Voici ce que dit un auteur de l’époque des marchands de Pontacq:
« Ils y sont encore davantage très industrieux et très commerçants. On y fabrique, en laines grossières du pays ou du moins estimées des confins de l’Espagne, des draps ou cadis, des manteaux à capuchon, connus sous le nom de capes, des bonnets ou berrets dont en Béarn, Soule, Navarre et Labourt, les paysans se servent, au lieu de chapeaux. On y fabrique, aussi continuellement, des couvertures de lit »
« On ne débite guère de ces articles que dans les provinces, que j’ai nommées, et dans la Bigorre et le Nébouzan. Je dois excepter l’époque où les Anglais de l’Amérique septentrionale, formés, aujourd’hui, en corps de peuple indépendant, sous le nom des 13 Etats-Unis, furent en guerre avec leur métropole. Je me rappelle que durant le cours de cette mémorable révolution, le produit des manufactures de Pontacq eut chès eux une grande vogue et qu’on ne pouvait suffire aux demandes ».
« Je crois que depuis la paix, qui a ouvert tant d’autres portes du même genre avec liberté et sureté, Pontac a du fermer la sienne avec ce pays là . Son travail est néanmoins, assès avancé ».
« Presque tous les habitans, dans quelque classe qu’on les prenne, ont de l’aisance. Il y en a de riches, non seulement à raison de leur négoce, mais même comme rentiers et cultivateurs. Ce territoire a, pour les grains, et encore plus, pour les fourrages, des fonds excellents…»[99]
Pierre-Ignace épouse donc la benjamine, et non l’aînée des filles. Si l’alliance entre familles est évidemment « arrangée », on peut tout de même y voir une inclination, à moins que l’aînée n’ait été promise à un autre, sans que le mariage ne se fasse. Gracieuse était-elle plus avenante que Titine son aînée ? Son surnom nous paraît aujourd’hui plus glamour, mais il faut savoir que Gracieuse est un prénom traditionnel en Béarn, on ne peut donc rien en conclure.
Si dans certaines familles la Révolution a pu rendre les codes sociaux moins prégnants et diminuer l’endogamie, ce n’est pas le cas pour ces deux mariages qui auraient pu avoir lieu avant la Révolution sans surprendre quiconque. Le déménagement de la famille à Bordeaux vingt-cinq ans auparavant n’a pas non plus changé grand-chose: les deux « pièces rapportées » ont des origines négociantes et pyrénéennes.
Certes, Barthélémy Domecq est un révolutionnaire, et nous sommes en l’an V, il ne marie donc pas sa fille à un rejeton désargenté de la noblesse comme cela aurait peut-être pu arriver sous l’ancien régime. Mais les nobles de la fin de l’ancien régime avaient une mentalité étrangère au monde du négoce, les alliances étaient assez rares et la fortune de Barthélémy Domecq n’aurait peut-être pas été assez importante pour constituer une dot suffisante et susceptible d’attirer un jeune noble « chasseur de dot » comme il en existait.
Sans aller jusqu’à parler de mésalliance, Dorothée Gracieuse est plus riche que son mari: Elle épouse un apprenti négociant de la région d’origine de son père, et non un négociant bordelais bien établi et aussi riche qu’elle. En guise de dot, son père lui accorde une pension de 1000 livres par an, alors que Pierre-Ignace Guichon ne déclare avoir pour revenu qu’une somme de 500 livres annuelle, ce qui n’est guère plus que le salaire d’un quelconque travailleur. Il épouse la fille de son patron, ce qui est plus que courant.
Décès et succession
Barthélémy Domecq décède donc le 12 fructidor an V (29 août 1797) dans son domaine de La Ferrade, à Bègles, à l’âge de 68 ans[100]. Malheureusement pour nous, il n’est pas fait d’inventaire après décès qui nous aurait permis de rentrer chez lui. On en a l’explication dans le contrat de mariage de sa fille Catherine en 1807:
« Il est reconnu par les parties qu’au décès dudit feu Barthélémy Domecq père, sa veuve et leurs enfants au nombre de trois, profitant de l’heureuse harmonie qui régnait entre eux continueront de vivre ensemble les biens en commun… »[101]
Pendant dix ans, la famille a continué de vivre en commun et la société Barthélémy Domecq et fils a perduré: « sous la raison Barthélémy Domecq père et fils était intéressé le dit Clément Domecq qui prit la suite des affaires et les a continué pour son propre compte à ses périls, risques et fortunes et il les continue encore sous le même nom de Barthélémy Domecq père et fils. »
Catherine Titine Domecq se marie à l’âge de 37 ans avec un directeur des Postes, membre de la famille de Lesseps. C’est un premier mariage particulièrement tardif pour l’époque. La moyenne chez les filles de négociants était de 25 ans, et 89% se mariaient avant 30 ans[102]. Encore plus tardif fut le mariage de Jeanne, la nièce, à 42 ans. Leurs maris sont tous les deux veufs. Étaient-elles malades ? On ne trouve aucun élément explicatif dans les contrats. Cela ne les empêcha pas d’enfanter toutes les deux.
Catherine hérite du domaine de Bègles. Comme son père elle y décède, en 1815. Le mari déclare ne pas y avoir fait d’acquêts. La maison a donc probablement peu changé depuis la mort de Barthélémy. L’inventaire après décès qui est fait montre un luxe moyen[103]. Le lit est le meuble ayant le plus de valeur, comme c’est très fréquemment le cas à l’époque. Il y a une belle pendule, une cafetière. Il y a beaucoup d’argenterie, qui est un agrément et aussi un placement. La seule originalité sans doute propre à une famille de négociants bordelais est la quantité de barriques de vin qui constitue une part importante des biens meubles de Catherine.
Le nom de Barthélémy Domecq fut utilisé longtemps après sa mort, au point que son petit-neveu et homonyme Barthélémy Domecq, raffineur de sucre, signera encore en 1816 « Domecq neveu ». Son fils et son gendre réussiront moins bien que lui. Ils furent un temps associé dans la société « B. Domecq, Guichon et Pleneau » avant de faire chacun leurs affaires de leur côté. Les Guichon continueront d’habiter rue du chai des farines, tandis que Clément Domecq habitera avec sa mère rue de la porte St Jean. La société Domecq fait faillite en 1813, pour un montant estimé dans le rapport de police à 650.000 livres[104].
En 1816 Clément Domecq est dit « ci-devant négociant » dans les actes qui concernent la liquidation de la société. Il se retire dans le domaine de Listrac-Médoc qu’il avait acheté et se consacre à la vente de vin. Il sera qualifié de « cultivateur » dans son acte de décès en 1830. Sa sœur Dorothée Domecq épouse Guichon meurt quelque mois plus tard dans le même domaine.
Pierre-Ignace Guichon achète en viager un grand domaine à Soussans pour 125.000 francs[105]. Soussans n’est pas loin de Listrac et touche la commune de Margaux. Dans un montage financier complexe, il s’est endetté pour financer l’acquisition auprès des anciens propriétaires et doit payer des intérêts en plus de la rente viagère. C’est un achat risqué qui ne réussira pas à Guichon.
Il s’endettera encore pour payer les dots de ses filles, Fanny en 1818 et Zélia en 1823. Son fils Pierre-Hippolyte Guichon renoncera à sa succession après son décès en 1842.
Il serait tentant d’associer le destin de la famille avec celui du port de Bordeaux comme une même inversion de la courbe de croissance. En effet sous la Restauration, on assiste à un changement dans la nature des échanges commerciaux; Bordeaux et Nantes sont alors supplantées par Le Havre et Marseille.
La décennie 1780 est considérée comme l’âge d’or du commerce bordelais. Il a cependant été démontré que les décennies suivantes constituaient une stagnation, plutôt qu’un déclin. Il y a une « grande continuité des structures et un énorme renouvellement des hommes »[106]. Sous la Restauration il y a toujours autant de négociants aisés, moyens ou petits, mais ce sont rarement les fils de négociants de la génération précédente dans la même position.
C’est donc plutôt dans ce contexte qu’il faut placer le fils et le gendre qui ne sont pas les seuls à ne pas pouvoir maintenir la position de petit notable qu’avait acquise leur père et beau-père.
Sources
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Archives départementales Pyrénées Atlantiques: état civil
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Archives de la Société Typographique de Neufchatel [robertdarnton.org]
Bibliographie
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Sur l’affaire Calas:
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Inventaire, II, p. 88; original AM Bordeaux, D 110, p. 96 ↑
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Tackett, p. 89 ↑
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AM Bordeaux, D 110 ↑
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Inventaire, II, p. 89 ↑
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Idem, p. 94 ↑
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Idem, p. 89 ↑
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Discours de M. Rabaud de St. Étienne, député de la sénéchaussée de Nîmes, aux États généraux : prononcé a l’Assemblée nationale le 29 août 1789 sur la liberté des opinions religieuses., Montauban, Chez Vincent Teulieres, 1789 ↑
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Tableau des hommes connus dans les sections de Bordeaux comme ayant participé aux horreurs commises sous la tyrannie qui a précédé le neuf thermidor, en exécution du décret du vingt-un germinal, l’an troisième, in Inventaire, II, p. 125 ↑
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Gardey, p. 219 ↑
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Inventaire, II, p. 91 ↑
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Idem, p. 83 ↑
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Idem, p. 94 ↑
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Idem, p. 95 ↑
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Idem, p. VI ↑
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AM Bordeaux, D 110, p.97 ↑
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AM Bordeaux, D 111, p.46 ↑
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Boussoulade, Jean, and G. Boussoulade. « Les Religieuses et les Serments. », Annales Historiques De La Révolution Française, no. 131, 1953, pp. 127-39 ↑
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AM Bordeaux, D 111, p. 87 ↑
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Inventaire, II, p. 105 ↑
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AD33, 3 L 239 ↑
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Gardey, p. 375 ↑
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Celle de 1789 était « Article 13: Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » ↑
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Evangile de Matthieu, 6, 2 ↑
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Tackett, p.18 ↑
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Inventaire, tome IV, p. 461 ↑
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D’après le certificat des amis et voisins lors de la réclamation contre l’emprunt forcé. ↑
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Il demeure cependant des avocats aux conseils, qui ont le monopole de la représentation devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. C’est une excellente situation. ↑
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AD33, 3 E 31371, 22 brumaire V ↑
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AD33, 3 L 179 ↑
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Jean Gratian de Laussat, Extraits de Mélanges Historiques, cité dans http://patrimoine-en-ribere-ousse.fr/category/histoire/les-marchands/ (vu le 1/3/19) ↑
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AD33, 4 E 1767 ↑
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AD33, 3 E 31408, Contrat de mariage 8 avril 1807 ↑
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Gardey, p. 407 ↑
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AD33, 3 E 31449, 15 mai 1816 ↑
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AD33, 1 M 330 ↑
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AD33, 3 E 31404 ↑
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Gardey, p. 173 ↑